Portrait. Rozette Yssouf, première docteure en psychologie de Mayotte

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Portrait. Rozette Yssouf, première docteure en psychologie de Mayotte

Fin juin dernier, l'Université de Strasbourg a organisé par visioconférence la cérémonie de remise de diplôme de Doctorat. Parmi les diplômés, la Mahoraise Rozette Yssouf est devenue la première mahoraise docteure en psychologie. Aujourd'hui travaillant actuellement à Wallis-et- Futuna comme psychologue clinicienne, elle revient pour Outremers 360 sur son parcours et son combat pour lutter contre le tabou sur les souffrances psychologiques.

 

Après une scolarité à La Réunion, la Mahoraise Rozette Yssouf poursuit ses études dans l'hexagonale où elle obtient deux masters : l'un en sciences de l'éducation, l'autre en psychologie clinicienne. De retour sur son île natale, elle commence sa carrière professionnelle comme chargée de  mission pour la ville de Mamoudzou sur un projet local éducatif. Mais alors qu'elle vient de devenir mère, Rozette Yssouf décide de reprendre les études. « J'avais envie de pousser mes études car il y avait des thèmes de la psychologie que je souhaitais approfondir comme la souffrance psychologique et psychique et la jeunesse mahoraise des thèmes peu abordés à Mayotte». 

Comme sujet de doctorat, elle commence à travailler sur la question de la délinquance juvénile mais au fil des témoignages qu'elle recueille, elle décide de se concentrer sur le cheminement des jeunes mahorais qui réussissent malgré des parcours de vie difficiles. Son sujet de thèse retenu sera: « Les jeunes mahorais entre doute et peur, le choix de la sublimation contre l'effondrement psychique». 

En psychologie, le concept de la sublimation est «un mécanisme de défense que toute personne peut utiliser dans des moments difficiles de la vie en la sublimant. Il s'agit d'aller au-delà des expériences difficiles et de les transformer en « quelque chose de bon », explique Rozette Yssouf.

« les Mahorais ont une capacité de résilience très élevée, voire inouïe. 

Pour cette dernière, « les Mahorais ont une capacité de résilience très élevée, voire inouïe. En suivant à la fois des patients hexagonaux et des patients mahorais confrontés à un abandon familial. Je me suis rendue compte que les patients hexagonaux éprouvaient davantage de difficultés à surmonter cet obstacle. Ils connaissaient des antécédents de passage à l'acte suicidaire plus important que les patients mahorais. A Mayotte, des jeunes ayant connu ce même abandon sont parvenus à surmonter cette épreuve». 

Parmi les facteurs pouvant expliquer cela, Rozette Yssouf met en avant la structure familiale élargie de la société mahoraise. « La culture mahoraise a quelque d'aidant, de soutenant. En absence de père et/ou de mère, il existe des substituts maternels et paternels comme les oncles, les tantes qui peuvent jouer ce rôle de parents. Cela aide les jeunes à être moins traumatisés par l'abandon de l'un des deux parents avec l'éducation collective du village où tous les membres de la famille ont un droit de regard sur l'enfant. Ce mode de fonctionnement est donc salvateur pour ces jeunes». 

Cette force de surmonter les épreuves à travers la réussite est d'autant plus inouïe pour la psychologue mahoraise car « la sublimation n'est pas quelque chose d'automatique. Elle est parfois très difficile à développer ce mécanisme de défense. Il existe même des personnes qui ignorent qu'ils détiennent cette sublimation, ils ignorent ce pouvoir psychique de cette capacité à rebondir, à réussir malgré les épreuves et les échecs. Ceux qui arrivent à sublimer par les études, le sport ou les arts ont un cruel manque de confiance en eux. Ils ont besoin d'atteindre la perfection à chaque fois alors qu'ils ont déjà franchi les étapes les plus difficiles. Ils restent encore dans le doute et dans la recherche de la reconnaissance par la société»  

 Je ne suis pas devenue psychologue pour rester silencieuse sur les maux. 

La santé mentale, un tabou à Mayotte 

Toutefois, Rozette Yssouf souligne que cette résilience hors-pair des Mahorais ne doit pas faire oublier que les questions de santé mentale, de souffrance psychologique et psychique restent à Mayotte un tabou. « Le mécanisme de déni de la souffrance psychologique est très présent. Il est encore difficile pour beaucoup de personnes de reconnaître avoir des symptômes dépressifs ou des idées suicidaires.» 

Elle cite en exemple l'année 2020 où 6 étudiants mahorais se sont suicidés.« Les Mahorais souffrent autant que n'importe quelle personne.Ils ne sont pas épargnés par la souffrance psychologique. Les professionnels de la santé mentale comme les psychologues ou les psychiatres restent peu connus ou mal connus.  D'autre part, la société mahoraise n'est pas prête pas à ce que ces professionnels de santé existent pleinement. Récemment, une vague de professionnels du service psychiatrique de l'hôpital ont démissionné faute de moyens pour exercer. 

« Je veux que les gens comprennent qu'il est important de parler, de verbaliser, d'exprimer leurs souffrances et leurs vécus difficiles

Aujourd'hui, Rozette Yssouf travaille depuis 7 mois à Wallis-et-Futuna. Elle est notamment chargée de prendre en charge « l'aspect psychologique» de personnes atteintes de maladies chroniques comme l'obésité, le diabète. Durant le confinement, elle a participé à la mise en place d'une cellule d'écoute et d'aide psychologique sur le territoire pour aider la population à affronter cette période particulière.

Rozette Yssouf dans  son bureau  à Wallis-et-Futuna

Rozette Yssouf milite pour que la parole autour de la santé psychologique se libère. « Je veux que les gens comprennent qu'il est important de parler, de verbaliser, d'exprimer leurs souffrances et leurs vécus difficiles. Il est nécessaire de mettre les maux en mots ». Elle insiste également sur la nécessité de lancer des campagnes de prévention et de sensibilisation. « Je ne suis pas devenue psychologue pour rester silencieuse sur les maux. J'en ai fait un combat, car il existe des personnes, des enfants qui souffrent autour de nous. Le fait de cacher des choses ajoute une souffrance.»

A ce sujet, Rozette Yssouf est auteure de plusieurs ouvrages autobiographiques et deux ouvrages sur l'abandon paternel et sur les violences conjugales. Elle vient  de publier son  second livre autobiographique dans lequel elle montre comment se confier. « C'est une manière d'aider les personnes à se confier. Dans la vie, il faut oser parler de ses émotions, de ses sentiments. Il ne faut pas avoir peur. Je fais ce travail d'écriture pour sensibiliser les personnes sur l'importance de verbaliser, d'exprimer toutes leurs souffrances. C'est une façon de montrer l'exemple». 

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