Jay Doza, psychopraticienne : « À Mayotte, beaucoup demandent un soutien psychologique qu'ils n'ont pas encore réussi à avoir »

Jay Doza, devant le local de l'association Mizi ©DR

Jay Doza, psychopraticienne : « À Mayotte, beaucoup demandent un soutien psychologique qu'ils n'ont pas encore réussi à avoir »

À Mayotte, cinq mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, les stigmates peinent à disparaître. Si la végétation ne laisse presque plus rien deviner de ce qu’était le territoire en janvier, ce n’est pas encore le cas pour une grande partie des habitations. Pire, une autre forme d’urgence se révèle, au fil des semaines : la santé mentale. C’est dans ce contexte que l’association Mizi (Racines) a organisé la semaine dernière une série d’événements autour de la question, « Chido, on en parle ? », en faisant appel à la  psychopraticienne Jay Doza. C’est à Chirongui, dans le sud de l’île, que des espaces d’écoute animés par cette dernière ont été mis en place. Au programme : conférences, brunch, ciné-débats, avec un enjeu : s’exprimer pour mieux avancer.

En décembre 2024, Ben Simonin, sa femme et leur bébé de deux mois sont, comme partout à Mayotte, sinistrés après Chido. « Notre vie était là, mais avec un enfant en bas âge, la situation était extrêmement compliquée. Je suis Suisse. L’ambassade nous a évacués. On a ensuite pu bénéficier de l’accompagnement d’un professionnel. » 

Trois jours d’écoute qui changeront tout pour la famille, bien décidée à revenir sur le territoire. « Ça nous a fait du bien », raconte Ben Simonin, qui, sur place, est président d’une association, Mizi, proposant diverses activités culturelles et des espaces de travail et de repos. « De retour, l’idée est venue. On s’est dit que tout le monde devrait pouvoir bénéficier de cela. » 

Thomas Rolland, vice-président de l’association, adhère au projet. « On a vu pas mal de nos voisins avoir des phobies, ne pas réussir à dormir, ne pas être bien depuis Chido. Ce besoin était réel. » L’association Mizi contacte alors Jay Doza, psychopraticienne et conférencière exerçant dans l’Hexagone. « C’était une grande première pour moi. Je ne connaissais pas Mayotte », confie-t-elle. 

Ben Simonin à gauche et Thomas Rolland à droite ©DR

Dès son arrivée, la psychopraticienne a multiplié les actions : camp jeunesse, groupes de parole, conférences, ciné-débat. Partout, le même besoin : parler, être écouté, comprendre, relâcher. « À Mayotte, beaucoup demandent un soutien psychologique qu'ils n'ont pas encore réussi à avoir. Je remarque aussi que presque tous ont conscience qu’il y a un problème, mais beaucoup s’en remettent à Dieu… » 

Libérer doucement la parole

Toute la semaine dernière, le local de l’association a accueilli ces espaces d’échanges. Pour l’équipe de Mizi, même si le monde attendu ne s’est pas présenté, les quelques personnes présentes ont pu enfin prendre le temps de mettre des mots sur leurs maux. 

« Nous savons que beaucoup sont encore dans les urgences d’habitat ou du quotidien », tempère Thomas Rolland. « Et ce n’est pas parce qu’il y a peu de monde que personne n’a besoin d’aide. Certains sont sortis bouleversés. Ils ont demandé : est-ce que je peux continuer un suivi ? ». Jay Doza fait également ce constat. « Ce qui est notable, c’est la fatigue. Les gens sont là, ils avancent, mais ils sont fatigués. Certains ne dorment toujours pas correctement. Il y a des cauchemars, des flash-back, des crises d’angoisse liées au bruit de la pluie ou du vent. » 

©Facebook Mizi

La psychopraticienne évoque des signes de stress post-traumatique et des symptômes anxiodépressifs, souvent passés sous silence. « Une femme m’a confié qu’elle ne pouvait plus traverser le village depuis le cyclone. Une autre, qu’elle évitait d’allumer la lumière à cause de souvenirs violents… Même si la parole ne se libère pas massivement, on voit bien que dès qu’un espace est créé, elle surgit. » 

Pour Ben Simonin, la démarche d’écoute est essentielle. « On pense encore trop souvent que les psys, c’est pour les autres… Mais quand tu vis une situation difficile, que tu as un bébé de deux mois, que tu as vu ton toit s’envoler… tu réalises que ça te dépasse. Et qu’il faut pouvoir en parler ». Jay Doza espère, elle, que les institutions accompagneront ces initiatives pour qu’elles prennent de l’ampleur. « Il y a quelque chose de collectif qui se joue, malgré tout. À Mayotte, on fait beaucoup les choses ensemble : on mange ensemble, on discute ensemble, on se retrouve. C’est précieux. Et ça aide. Mais aujourd’hui, il faut pouvoir aller plus loin. »

Résignation et non résilience

Officiellement, la vie suit son cours. Les restaurants, les commerces, les prestataires reprennent du service. Mais dans les regards, dans les postures, fatigue, démotivation et craintes pour l’avenir se sont installées. « J’ai l’impression que c’est une remise en marche… comme si tout allait bien », explique Thomas Rolland. 

« On repart, mais on repart sans être réparés. » « Pour moi, ce n’est pas de la résilience, comme on entend souvent, c’est de la résignation », alerte Jay Doza. « Beaucoup de gens ont exprimé leur énervement contre l’État, contre les institutions qui n’ont pas répondu. Il y a eu de la tristesse, mais aussi de la colère. Les Mahorais s’accrochent à quelque chose d’existentiel. Mais ils sont à un doigt de dire que non, là vraiment, ça va craquer. Et si ça craque, on verra un territoire en dépression. Ça ralentirait tout. Il y aurait plus de révolte, plus de conflits, plus de violence. » 

©Facebook Mizi

Pour la psychopraticienne, il faudrait plus d’événements en lien avec la sensibilisation aux symptômes liés aux traumatismes, que ce soit dans les associations, dans les collèges ou dans les hôpitaux. « Peut-être que certaines personnes ne retrouveront jamais leur vie d’avant. Mais elles peuvent réapprendre à vivre du mieux que ce soit possible… Il faut montrer que c’est important de consulter, de parler, de mettre des mots sur les maux. »

Dans ce territoire sous tension, le manque de structures et de professionnels liés à la santé mentale se fait ressentir. « Très peu de psychologues restent à Mayotte », confirme Thomas Rolland. « Ceux qui viennent ne s’installent pas. Même ceux qui sont formés ici finissent par partir. La charge émotionnelle est trop forte, la pression trop constante. »

Des projets à mener malgré les difficultés

Malgré les conditions difficiles, l’association Mizi ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin. « On aimerait se former à l’écoute active », indique Ben Simonin. « On réfléchit aussi à une autre action, similaire à celle que nous venons de mener en août », complète son vice-président. « Ce n’est pas que pour Chido. Il y a aussi les violences intrafamiliales, les traumas anciens. Les gens ont besoin de parler. »

En parallèle, l’association maintient ses activités quotidiennes. « Hors vacances, on est ouverts le matin, de 8h à 13h », informe le président de Mizi. « Il y a un espace de travail, des ordinateurs, des livres, un coin gourmand. On est à côté du lycée de Chirongui, donc les jeunes peuvent venir entre deux cours. Le mercredi matin, les parents peuvent venir avec leurs enfants de moins de 3 ans, se poser, souffler. »

Face à l’ampleur du choc post-Chido, les actions mises en place au sud de Mayotte, bien que ponctuelles, ne sont pas pensées comme des réponses éphémères. En effet, les réflexions sont menées pour, peut-être, s’associer à d’autres, dans le cadre de prochaines actions.

Abby Saïd Adinani