Ces dernières semaines, de nombreuses affaires d'occupations illégales du littoral guadeloupéen ont fait écho dans la presse.L'occupation du littoral guadeloupéen et son aménagement n'est pourtant pas une problématique nouvelle. Dans une tribune, le chargé d'enseignement à l'Université des Antilles Teddy Bernadotte s'interroge sur les dispositifs juridiques qui régissent ces zones .
Pourquoi est-il nécessaire de réviser le Schéma d’Aménagement Régional (SAR) ? À qui est-il réellement destiné ? Dans quel esprit doit-il être conçu ? Ce sont des questions essentielles à poser, surtout dans un contexte où des conflits surgissent autour de l’occupation illicite du littoral.
Ces tensions trouvent souvent leur origine dans un régime juridique complexe et un trop grand nombre d’acteurs impliqués. Cela fragilise le développement de l’activité économique sans pour autant garantir la préservation de l’environnement.
Il ne faudrait pas ajouter de réglementations supplémentaires qui compliqueraient encore davantage la compréhension du droit, mais plutôt adapter les textes existants et simplifier le cadre juridique. Les collectivités locales ne s’approprient pas suffisamment les possibilités de différenciation et de simplification prévues par certains textes.
En outre, il est important de s’interroger sur les dispositifs existants, souvent utilisés de manière partielle, voire totalement sous-exploités.
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Réconcilier nos villes avec la mer
Il est temps de mener une reconquête durable des côtes, en transformant les fronts de mer en espaces publics de qualité, en intégrant le littoral aux politiques de revitalisation urbaine et en préservant les milieux naturels ainsi que la biodiversité.
De nombreux exemples de réussite existent, tels que la rénovation urbaine de Fort-de-France avec le Malécon. En Guadeloupe, les boulevards maritimes de Sainte-Anne, Basse-Terre et Le Moule montrent que des initiatives claires et concertées rencontrent rapidement un écho favorable auprès des populations.
Le littoral guadeloupéen est au cœur de nombreux enjeux, reflétant des tensions entre protection de l’environnement et développement économique. De surcroît, la multiplicité des acteurs – la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), la Direction de la Mer, le Conservatoire du Littoral, l’Office National des Forêts (ONF), l’Office Français de la Biodiversité (OFB), l’Agence des 50 pas géométriques, la Direction Générale des Finances Publiques…[1] – engendre une instabilité dans l’interprétation réglementaire et fragilise les initiatives privées.
I – La méconnaissance des potentialités offertes par les dispositifs existants
engendre de nombreux conflits
mal utilisés. Bien que l’on puisse reconnaître certaines imperfections dans leur mise en œuvre, il est essentiel de mieux comprendre et d’exploiter ces outils.
La Guadeloupe, avec ses 1 628 km², est confrontée à des déséquilibres spatiaux persistants. Il est important de renforcer la portée normative du schéma d’aménagement régional (SAR) et de son schéma de mise en valeur de la mer (SMVM). Leur caractère opposable doit être affirmé afin d’assurer une meilleure lisibilité. En intégrant systématiquement ces documents dans les contrats de convergence et de transformation territoriale, nous pourrions mieux les évaluer, actualiser les choix d’actions prioritaires et mieux mobiliser les financements prévus dans les prochains programmes opérationnels d’investissement. Ce processus ne doit pas être perçu comme une contrainte, mais comme une opportunité d’orienter le développement de manière réfléchie et durable.
La révision du SAR se déroule dans un contexte de crise profonde liée à l’occupation illicite du littoral. Attendu depuis de nombreuses années, ce processus doit répondre aux fortes attentes de la population tout en établissant un équilibre nécessaire entre la valorisation de notre littoral et la préservation de l’environnement.
La loi « Climat et Résilience »[2] introduit de nouvelles règles et obligations. Il convient de les recenser pour en assurer la meilleure prise en compte. Certaines de ces obligations peuvent également impacter les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) : gestion des risques littoraux, recul du trait de côte, objectif de zéro artificialisation nette… Rappelons que les PLU doivent être compatibles avec le SAR.
L’urgence écologique exige de mettre en place une dynamique commune de gestion des risques d’inondation, afin d’en réduire les conséquences dommageables sur les territoires, les habitations, les biens et l’activité économique[3].
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Une collaboration étroite avec les établissements publics de coopération intercommunale(EPCI)
Compte tenu de l’exiguïté du territoire, la mise en place d’une gouvernance partagée est essentielle. S’agissant du littoral – et en particulier des 50 pas géométriques – il est impératif que tout projet soit clairement identifié dans le SAR pour être réalisé. Il est donc crucial d’associer pleinement les communes, responsables des PLU, ainsi que les structures intercommunales compétentes pour élaborer les Plans Locaux d’Urbanisme Intercommunaux (PLUI) et les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT).
Bien que certaines communautés d’agglomération aient mis en place un SCOT, aucun PLUI n’est actuellement en vigueur.
Affirmer les compétences communales
En 2025, certaines communes de l’archipel ne disposent toujours pas d’un PLU approuvé et doivent s’en remettre à l’État pour la délivrance des autorisations d’urbanisme (certificats d’urbanisme, permis de construire, permis d’aménager, etc.). Dans ces cas, les projets ne peuvent se réaliser que dans des espaces déjà urbanisés.
Il est crucial d’inciter ces maires à se réapproprier leurs PLU pour imposer « leur » vision du développement local. Le PLU traduit l’expression de la volonté politique au sein du territoire. Les communes non couvertes par un PLU sont soumises au Règlement National d’Urbanisme (RNU), ce qui limite fortement leur marge de manœuvre en matière d’urbanisme et d’aménagement.
Respecter le principe de libre administration des collectivités locales
Cette réappropriation doit s’accompagner d’une clarification des modalités d’intervention des services de l’Etat. Dans certains cas, ces derniers exercent un contrôle d’opportunité au lieu d’un contrôle de légalité, un interventionnisme qui remet en question le principe de libre administration des collectivités locales. Ce « jeu des acteurs »[4], pas toujours perceptible par tous, peut susciter l’incompréhension des citoyens lorsque des responsables municipaux ne parviennent pas à faire évoluer leur Plan d’Occupation des Sols (POS) en PLU.

II – Droit, proximité et efficacité
Certains acteurs bénéficient d’une certaine flexibilité dans l’instruction des projets de développement économique et touristique, tandis que d’autres subissent une application stricte des textes, ce qui nuit à leur développement. Cette inégalité de traitement engendre un sentiment d’injustice parmi les citoyens face au droit.
Pour un équilibre subtil : sécuriser les acteurs et préserver l’environnement
Face à une réglementation instable et à des exigences administratives parfois excessives, les acteurs publics et privés voient leurs projets fragilisés. Ce n’est pas à l’investisseur de s’adapter à un environnement juridique complexe, mais aux institutions de mettre en place un cadre clair, agile et sécurisé. Les élus, eux-mêmes exposés à une lourde responsabilité pénale – notamment en matière de droit de la mer et du littoral – doivent également être accompagnés.
Pour cela, il convient de :
• établir un guide pratique et accessible précisant les démarches, les documents nécessaires et les délais prévus pour chaque type de projet, afin de permettre aux investisseurs de mieux comprendre le processus et d’anticiper ;
• mettre en place une agence d’accompagnement dédiée au sein des intercommunalités, chargée de guider les investisseurs locaux à travers la complexité du cadre réglementaire de manière proactive ;
• impliquer les centres de formation pour organiser des sessions destinées aux élus locaux et aux agents des collectivités (CNFPT).
Enfin, avec l’émergence de nouveaux métiers liés à la mer – nautisme, aquaculture, écotourisme, plaisance, réparation navale – se pose la nécessité de structurer un véritable écosystème local de l’économie bleue. Le cluster maritime, rassemblant une multitude d’acteurs associatifs aux légitimités variées, doit être renforcé afin d’assurer une représentation cohérente et efficace.
Conclusion
La Guadeloupe a perdu plus de 16 000 habitants en six ans. Nous faisons face à des épisodes
météorologiques extrêmes, de plus en plus fréquents et violents, à une érosion préoccupante
de nos côtes et à une dégradation de la qualité des eaux de baignade qui menace notre
biodiversité. Ces constats sont préoccupants et appellent à une vigilance accrue.
Cependant, la Route du Rhum et le Traditour en Guadeloupe, le Tour des Yoles et la Transat
Jacques Vabre en Martinique démontrent, par leur succès, l’attractivité de nos territoires et
leur potentiel de rayonnement dans le bassin caribéen comme à l’international. Autant de
raisons d’être confiants en l’avenir et de maîtriser pleinement le droit de la mer et du littoral.
Le Schéma d’Aménagement Régional (SAR) doit articuler de manière stratégique les
politiques régionales et les projets locaux, en particulier sur les enjeux contemporains tels que
le logement, la mobilité et l’adaptation au changement climatique. Cette révision constitue
une véritable opportunité de transformer un document technique en un « projet de société »
répondant aux aspirations légitimes d’une population en quête de changement.
Teddy Bernadotte
Chargé d’enseignement – Université des Antilles
Institut Maurice Hauriou – Université Toulouse Capitole
Notes : [1] On en recense plus d’une vingtaine. [2] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. [4] Jeux des acteurs et dynamique du changement, entretien avec Michel Crozier. |