Nouvelle-Calédonie : À Ouvéa, les jeunes cultivent le devoir de mémoire

Nouvelle-Calédonie : À Ouvéa, les jeunes cultivent le devoir de mémoire

Cette année encore, le devoir de mémoire, relatif à la prise d’otage d’Ouvéa en 1988, auquel les Calédoniens font référence avec humilité sous le nom des « événements ». À Ouvéa, au sein de la tribu Gossanah, un épicentre de l’événement, une volonté de partage et de recueillement est prégnante. Focus avec le reportage de nos partenaires de CALEDONIA.

Du 22 avril au 5 mai 1988, l’un des événements les plus marquants de l’Histoire du territoire se déroulait à Ouvéa. Une prise d’otage, dans une grotte, s’est soldée par l’assaut d’unités du GIGN et du 11e Régiment de Parachutiste entre autres, au bilan lourd : 19 morts et 14 prisonniers côté indépendantiste, 2 morts et 4 blessés côté des forces armées. Un an après, le 4 mai 1989, Djubelly Wea, originaire de la tribu de Gossanah assassine les figures Kanak, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwene Yeiwene, alors président et vice-président du FLNKS.

L’assaut de la grotte de Gossanah est le paroxysme d’événements violents en Nouvelle-Calédonie, débutés dans les années 80, et qui opposaient indépendantistes kanak et « caldoches ». La prise d’otage, qui a eu lieu en pleine présidentielle opposant François Mitterrand à Jacques Chirac, a eu un retentissement national, le premier déplore un « bilan douloureux », tandis que le second, Premier ministre d’alors, adresse ses « chaleureuses félicitations » à l'armée. Pour nombre d'observateurs, le drame d'Ouvéa a contribué à la défaite de Jacques Chirac, le 8 mai, face à François Mitterrand.

Le président réélu nomme alors Michel Rocard à Matignon qui, quelques semaines plus tard, conclura avec les indépendantistes et loyalistes l’accord de Matignon, mettant fin à des années d’affrontements violents, et posant la première pierre du processus de décolonisation et d’autodétermination, renouvelé une première fois en 1998 par l’accord de Nouméa. Ce 4 et 5 mai 2023, à Hienghène, Maré et Ouvéa, de nombreuses commémorations sont organisées dans une volonté de perpétuer le devoir de mémoire. Nos confrères de CALEDONIA étaient sur place, au côté de membres de la tribu Gossanah, lors de célébration empreinte d’émotion et de volonté de transmission. Témoignages.

Neudjen Punda, originaire de la tribu Gossanah raconte : « Ce jour, 3 grands arbres de la maison sont tombés. Et ces 3 grands arbres, consciemment ou inconsciemment, ils sont tombés pour que les jeunes arbres, ils puissent bien pousser. Et moi, je fais partie de ces jeunes arbres (...) aujourd’hui, c’est compliqué pour beaucoup de prendre la parole. On fait le nécessaire pour s’informer, apprendre, pour notre histoire et ce qu’il s’est passé, pour comprendre. Je considère qu’aujourd’hui, c’est notre travail de s’imprégner pleinement de cette histoire-là pour pouvoir en parler, mais avec objectivité et avec sagesse ».

Faisen Wea, originaire de Gossanah, avait 9 ans au moment des événements : « Ce qu’il s’est passé à Gossanah, c’est-à-dire l’occupation de la tribu, l’invasion de l’armée française, tout ça, c’est resté dans nos mémoires, on ne peut pas l’oublier. Je ne vais pas dire que c’était un traumatisme, parce qu’à l’époque, on était encore gosse, mais c’est juste après l’assaut de la grotte qu’on a remarqué qu’on a vécu le pire, et c’est avec le temps qu’on a compris qu’il y avait eu un sacrifice, que les gens ont beaucoup soufferts, je parle de la famille, nos grands frères, nos parents, et ils ont su aussi nous préserver ».

Maky Wea, 76 ans, originaires de Gossanah, très ému de la présence de nombreux jeunes : « Je suis content ce matin, quand on voit les enfants qui viennent voir. Ici, ils peuvent lire les noms des gens qui sont tombés, ceux qui étaient à la gendarmerie, ceux qui ont été prisonniers (...) C’est ça l’histoire, car cette histoire ce n’est pas celle de Gossanah, c’est l'Histoire de tout le pays, c’est tout le peuple. Il faut que les gens s’accaparent de cette histoire pour considérer que c’est aussi leur histoire à eux ». 

Damien Chaillot