EXPERTISE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : Comment se présente le jour d’après ? Par René Dosière

EXPERTISE. Référendum en Nouvelle-Calédonie : Comment se présente le jour d’après ? Par René Dosière

À quelques semaines du deuxième référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, Outremers360 laisse la parole aux experts, institutionnels et universitaires, qui décrypteront et analyseront ce scrutin majeur, pour cet archipel du Pacifique sud, issu de l’Accord de Matignon en 1988, et de l’Accord de Nouméa en 1998.

René Dosière, ancien Député, Membre honoraire du Parlement et Rapporteur du statut de la Nouvelle-Calédonie, revient sur le rapport Courtial-Soucramanien qui mettait en garde contre une consultation binaire débouchant sur la « confrontation entre deux blocs » et l’arrêt du dialogue entre les partenaires de l’Accord de Nouméa. René Dosière appelle les responsables politique à « inventer une formule qui, bien entendu devra prendre en compte le résultat des deux consultations tout en permettant d’approfondir le processus de décolonisation pacifique ». 

Prévu pour durer vingt ans, l’Accord de Nouméa se termine par la nécessité de consulter la population intéressée sur le passage à la souveraineté entière, ce que certains appellent l’indépendance. Pour préparer cette consultation, le gouvernement français, François Fillon d’abord puis Jean-Marc Ayrault, confia une mission à deux personnalités indépendantes : un conseiller d’État, Jean Courtial, et un universitaire, Ferdinand Mélin-Soucramanien. Leur rapport sur « l’avenir institutionnel de la nouvelle Calédonie » fut publié en 2014.

Quatre scénarios sont évoqués dans ce rapport : l’indépendance pure et simple ; le maintien du statuquo ; l’accès à la pleine souveraineté en partenariat avec la France ; et l’extension de la souveraineté interne dans la France. Sans manifester un choix, les auteurs insistaient très fortement sur la nécessité de débattre de ces propositions pour éviter que le Gouvernement français -en vertu du texte de la loi- ne fixe lui-même la date et la question, qui dans ce cas ne pouvait être que binaire. Pour les auteurs cette solution était « la pire de toutes ». En effet, poursuivaient-ils, ce type de consultation ne donne pas aux électeurs d’indications sur ce qu’il adviendra réellement le jour d’après. C’est pourtant celle qui a été retenue ! Force est de constater, aujourd’hui, que la réflexion des deux auteurs était prémonitoire.

De son côté, l’Assemblée nationale avait mis en place une commission spéciale sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie qui auditionna les deux auteurs Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien, notamment. Nous fûmes plusieurs (Dominique Bussereau, Jean-Jacques Urvoas et moi-même) à réclamer avec insistance, ce travail d’explication pour éviter une consultation « sèche ». Nous n’avons pas été entendus, hélas ! Il en résulte qu’à aucun moment la population calédonienne n’a été en mesure de débattre sereinement, c’est-à-dire hors période électorale, de son avenir !

Incapables de dépasser leurs querelles personnelles et de boutiques, les responsables calédoniens ont préféré se polariser sur la composition du corps électoral référendaire en laissant ce rapport au placard. Grâce aux efforts de l’État et à la vigilance de son représentant local, c’est une liste électorale exhaustive et irréprochable qui a été établie. A cette occasion il a fallu « nettoyer » la liste électorale coutumière qui conservait, depuis longtemps, près de 10 000 personnes décédées, ce qui en faisait autant de centenaires ! Malgré les escarmouches et déclarations qui ont précédé la nouvelle consultation, la liste électorale demeure irréprochable.

La consultation référendaire du 4 novembre 2018 a connu une participation forte : 81,01% (au lieu d’un taux qui ne dépassait pas 75% dans le meilleur des cas). Une majorité de suffrages s’est prononcée à près de 57% contre l’indépendance. La cartographie électorale est particulièrement explicite : là où résident les kanak le OUI l’emporte très nettement ; là où résident les européens c’est l’inverse. Mais ce qui est frappant, c’est la similitude parfaite avec le scrutin provincial de 1985.

Pourquoi cette référence ? Parce qu’il s’agit du seul scrutin antérieur où la participation a été aussi forte : 80,62%. Or déjà à l’époque, les terres kanak votent indépendantistes et les terres européennes non-indépendantistes. Trente-trois ans plus tard, avec un corps électoral différent, après trente ans de développement soutenu et de progrès institutionnels, l’aspiration identitaire à l’indépendance ne s’est pas affaiblie, pas plus d’ailleurs que les votes anti indépendantistes.

Toutefois cette confrontation entre deux blocs a eu des conséquences six mois plus tard. Lors des élections provinciales de mai 2019, les « loyalistes » (ainsi que s’appellent les anti-indépendantistes) les plus extrêmes ont pris le dessus sur les « loyalistes » modérés regroupés dans le mouvement Calédonie ensemble, qui préconisaient -et préconisent toujours- la poursuite du dialogue avec les Kanak. Désormais les voix majoritaires du camp « loyaliste » sont celles qui refusent toute évolution ultérieure comme l’exprime leur propagande électorale.

Autre caractéristique de ce scrutin territorial post referendum : l’élection au Congrès de trois « océaniens », en l’occurrence des Wallisiens dont la communauté regroupe 8% de la population principalement localisée dans quelques communes du Grand Nouméa. Si traditionnellement les Wallisiens sont majoritairement hostiles à l’indépendance, ils constituent une ethnie dont les caractéristiques sociales montrent qu’elle est plus défavorisée que les kanak. Est-ce l’amorce d’un nouveau clivage de la société calédonienne s’appuyant davantage sur les aspects économiques et sociaux plutôt qu’institutionnels ? Il est trop tôt pour répondre à cette question. Ce groupe, qui a récemment fusionné avec l’UC-FLNKS au Congrès, n’a pas donné de consignes de vote pour la consultation du 4 octobre.

Comment se présente le jour d’après, en cas de confirmation probable du vote de la première consultation ?

Deux hypothèses se présentent :

  • Soit la poursuite de ce que le rapport Courtial-Soucramanien appelle une « machine infernale », c’est-à-dire la poursuite de l’affrontement lié à la répétition de consultations binaires dans des délais rapprochés. En effet une troisième consultation est prévue dans un délai maximum de deux ans. Lors de l’élaboration de la loi organique, en accord avec les signataires de l’Accord, nous avions renoncé à cette troisième consultation, dénuée de sens car une telle forme d’acharnement politique ne débouchait sur rien. Mais le Conseil constitutionnel s’en est tenu à la lettre de l’Accord et l’a rétablie. S’engager dans cette voie serait préjudiciable à la Nouvelle-Calédonie et rendrait plus difficile encore la poursuite de la décolonisation.
  • Soit la reprise du dialogue entre les partenaires calédoniens pour inventer une formule qui, bien entendu devra prendre en compte le résultat des deux consultations tout en permettant d’approfondir le processus de décolonisation pacifique. C’est dire qu’il convient de maintenir le droit à l’autodétermination du peuple kanak, tout en assurant la population d’un maintien de la présence française. Autrement dit fusionner les deux propositions proches du rapport Courtial-Soucramanien, en approfondissant leurs modalités concrètes. Cette piste ne parait pas utopique lorsqu’on constate que les indépendantistes ne proposent pas une rupture avec la France et que les loyalistes modérés envisagent de faire de la Nouvelle-Calédonie une petite nation dans la grande nation française.

Il revient au gouvernement français d’avoir autant d’imagination et de volonté que ses deux prédécesseurs de 1988 et 1998 en saisissant l’opportunité qui se présente d’éviter que le dossier calédonien ne re-devienne un enjeu de politique nationale.

René Dosière, ancien Député, Membre honoraire du Parlement, Rapporteur du statut de la Nouvelle-Calédonie.

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