Dans une tribune adressée à la rédaction d’Outremers360, Michel Vogel, président du Conseil des Prud’hommes de Saint-Martin, et les Conseillers prud’homaux de Saint-Martin, tirent les sonnettes d’alarme sur le rejet de leur temps d’indemnisations entre Saint-Martin et Basse-Terre, le rejet des temps et des tests obligatoires lors de la pandémie Covid19 et les dysfonctionnements divers.
Déplacement et situation géographique
Les conseillers de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et les justiciables, doublement îliens, doivent, pour rejoindre la juridiction du Conseil des Prud’hommes de Basse-Terre, de laquelle ils relèvent en termes de compétence, effectuer un déplacement Aller et Retour de : 259 km en aérien et 66 km de voiture, soit environ 3h aller et 3h retour (en intégrant les temps obligatoires de présence en aéroport).
Les horaires des vols ne sont pas étudiés, dans le cadre de la continuité territoriale, pour les résidents des îles du Nord. Ceci implique à minima 1 jour et demi de déplacement, avec logement dans un hôtel, pour assister à une audience. Les conseillers prud’homaux de St Martin étaient indemnisés de leur temps de déplacement, en application du décret n° 2015-1761 du 24 décembre 2015, obtenu par le signataire, alors premier conseiller prud’homal pour St Martin en 2002.
Soudainement, et à compter de 2022, ces temps de déplacement n’ont plus fait l’objet d’indemnisation, sans réelle explication. Les Conseillers prud’homaux étant alors indemnisés comme s’ils étaient résidents de la Guadeloupe, uniquement pour les temps de présence au sein du Conseil de Prud’hommes, alors que la contrainte de temps est largement différente entre les Conseillers prud’homaux de Guadeloupe, et ceux venant des îles de l’archipel.
Cette situation entraîne une désaffection des Conseillers prud’homaux des îles du nord, mais également d’autres îles de l’archipel, également dans la même situation (contraint à effectuer des déplacements importants), ne permettant donc plus de représenter chaque île soumise à la compétence du Conseil de Prud’hommes de Basse-Terre.
Les audiences foraines à Saint-Martin et la crise COVID19
Pour arranger l’administration judiciaire, et assurer le service public, durant la pandémie COVID19, nous avons organisé certaines audiences en visioconférence, de Saint-Martin. Depuis plus de 20 ans, pour limiter les frais de déplacement des justiciables, il existe une audience foraine à Saint-Martin, tous les premiers vendredis de chaque mois. Afin d’éviter à des Conseillers de Basse-Terre d’effectuer les déplacements pour ces audiences, nous avons organisé des audiences en visioconférence, permettant aux Conseillers de Guadeloupe de tenir l’audience à distance, avec la présence d’un Conseiller prud’homal de Saint-Martin, pour tenir le plumitif conjoint.
Cette organisation a permis de réaliser des économies considérables pour la juridiction (déplacement de deux conseillers et d’un greffier, soit environ un billet d’avion, outre les frais de taxi et de restauration sur place, et l’obligation des tests COVID19, qui était impératif pour tout déplacement à cette époque. Lorsque la crise COVID19 a permis d’organiser de nouveau les déplacements des Conseillers sur Saint-Martin, là encore, leur temps de déplacement n’a plus été pris en compte et même a été rejeté, les décourageant de se rendre sur Saint-Martin.
La crise COVID19
Nul ne peut ignorer que, durant cette période, il était fait obligation pour tous les déplacements aériens, « d’être négatif », et d’effectuer un test PCR. Or, pour tenir et respecter les audiences en 2021, il fallait le faire 2 fois par semaine lors des déplacements (-72 h valable Aller/Retour). Le temps obligatoire à leur prise et aux résultats a également été rejeté, car non prévus par les textes. Les Conseillers prud’homaux avaient donc l’obligation de se déplacer pour tenir les audiences mais étaient contraints de consacrer un temps gratuit pour la justice, lié aux tests PCR, aux trajets, etc…. Ce rejet des indemnisations n’est intervenu qu’aux termes de la période COVID19, au vu du temps de traitement, des demandes d’indemnisation…par conséquent, les Conseillers ont découvert la situation a posteriori….
Les Frais avancés
En moyenne au minimum le coût des frais avancés par rotation/audience est de 250€/300 € sans compter les repas. L’hôtel coûte aux Conseillers de Saint-Martin, 115 € avec le Pt Déjeuner, mais selon le barème, il n’est remboursé que 70 €, soit un reste à charge de 45 € payé par le conseiller par nuit d’hôtel. La location de voiture et l’essence seront également avancées par le Conseiller prud’homal. Ces frais avancés ne seront remboursés au Conseiller prud’homal de Saint-Martin qu’après plusieurs mois. Ce qui paraît anormal est que le barème applicable tant en matière d’hôtel que de repas, est largement inférieur au coût réel, et laisse un reste à charge systématique au Conseiller prud’homal de Saint-Martin.
Délais des indemnisations
Les délais de règlement sont d’environ 6 à 7 mois, sans avoir une réelle explication de ce qui est réglé (mois concerné, vacations concernées, etc…). Il ressort donc que du fait de ces systèmes, les Conseillers prud’homaux (i) avancent la trésorerie de façon récurrente pour assumer leurs fonctions, (ii) du fait des temps considérables de traitement, cette avance de trésorerie n’est jamais apurée, et (iii) ne sont plus réglés des temps de trajet ou d’immobilisation (hors audience) qu’ils sont contraints d’assumer pour remplir leur mission de service public. Cette situation entraîne une désaffection manifeste des Conseillers prud’homaux des îles de l’archipel, qui souhaiteraient participer à la mission de service public que constitue le Conseil de Prud’hommes de Basse-Terre.
L’incidence des îles du nord sur le Conseil de Prud’hommes de Basse-Terre
Quelques chiffres concernant la participation des conseillers de Saint-Martin aux audiences du CPH de Basse-Terre en 2022 :
Référé : 20 audiences
Commerce : 18 audiences
Industrie : Toutes les audiences
Agriculture : Toutes les audiences
Audience foraine : Toutes les audiences
Taux de Saisines pour les îles du Nord sur l’année 2022
Septembre 2021 à Juin 2022 : 31,84 %
Janvier 2022 à Octobre 2022 : 48,95 %
Le service public doit prendre en compte que la Guadeloupe est un territoire dont les composantes sont éloignées du ressort de la Cour d’Appel ; Pour assurer une représentativité cohérente du Conseil de Prud’hommes de Basse-Terre, il faudrait que chaque île concernée dispose d’un Conseiller prud’homal pour la représenter, mais les conseillers prud’hommes des îles doivent, pour respecter leur mandat se déplacer sur de grandes distances et sur un temps important.
Afin de respecter l’esprit même de la juridiction, il conviendrait de respecter le principe de la continuité territoriale et :
- Indemniser les temps de déplacements sur la même base que les temps d’audience, soit 16,80 €/ Heure.
- Indemniser les temps nécessaires et mis en œuvre pour effectuer les tests Covid dont dépendait la tenue des audiences de 2021. Aller et retour.
- Réévaluer les montants des indemnisations hôtelières, restauration, etc, au minimum sur la base des montants Urssaf : Arrêté publié au JO du 1er novembre 2022.
La Campagne de recrutement
Aucune campagne de recrutement n’a pu se faire dans de telles circonstances : Aucun chef d'entreprise ne pouvant accepter un tel traitement, c'est-à-dire « donner » des journées gratuites à l’administration judiciaire sans contrepartie, avançant les frais hôteliers, restauration, location de voiture, essence, pour n’être « remboursés » que sur une base forfaitaire, plus ou moins 6 ou 7 mois plus tard, leur laissant donc un « reste à charge » et une avance de trésorerie récurrente très importante.
Les Conseillers prud’homaux de Saint-Martin tirent les sonnettes d’alarme. Si tous les magistrats professionnels alertent sur le manque de moyens pour effectuer leur mission, tant sur le continent que sur les départements d’outre-mer, les Conseillers prud’homaux de Saint-Martin confirment cette situation, y ajoutant que remplir leur mission de service public leur coûte de l’argent, ce qui est paradoxal. Les décisions prises à cet égard, ne peuvent qu’entraîner un dysfonctionnement de la juridiction, et peut être à terme, sa disparition, mais peut-être est-ce un souhait ? Comment admettre que de simples citoyens, qui exécutent une mission de service public, doivent en assumer financièrement les conséquences ? Personne n’accepte de payer pour cela.
La situation est urgente, il faut une réaction à la hauteur de la vision politique. Les Conseillers prud’homaux ont alerté diverses autorités à tous les niveaux de la hiérarchie, mais aucune solution ou décision n’a été prise pour l’heure, laissant les Conseillers prud’homaux de Saint-Martin devoir assumer des obligations, et même leur rappelant leur devoir d’assister aux audiences et d’effectuer leur mission, sans aucune contrepartie ou bienveillance, et même en les laissant assumer financièrement cette mission.
Michel Vogel, Président sortant 2022 réélu, Vice-président 2023 du CPH de Basse Terre, Conseiller depuis 20 ans, Président de la Fédération territoriale MEDEF de Saint-Martin, V/P du Conseil Économique Social et Culturel de St Martin, Vice-président de la CCISM.