Problématique importante qui peut mettre des entreprises en danger en Outre-mer, les délais de paiement, et les retards qui sont observés en la matière, sont une problématique prégnante dans le tissu économique des territoires ultramarins. En Guadeloupe, l’UDE-Medef a décidé d’y consacrer des Assises, le 23 juin dans le cadre du Congrès des Maires, pour notamment « rappeler la règle », « dire la réalité de la situation » ou encore « partager les bonnes pratiques ». Bruno Blandin, président de l’UDE-Medef Guadeloupe a répondu à nos questions.
Le 23 juin se tiendront, en Guadeloupe, au CWTC, les « Assises des délais de paiement ». C'est assez inhabituel. Pourquoi de telles assises ?
Effectivement c'est inhabituel. C’est une première pour la Guadeloupe. Je pense pouvoir dire que c'est la première fois que de telles assises sur les délais de paiement, se tiennent dans un territoire d'outre-mer (des assises des délais de paiement avait été organisées en 2017 en Nouvelle-Calédonie, ndlr).
Pourquoi le sujet des délais de paiement ?
A notre époque, où la course d'un Monde de plus en plus globalisé s'est accélérée, nos économies modernes se sont complexifiées. La question du paiement, et en particulier des délais de paiement, est devenue un facteur majeur des process de production de valeur ajoutée et donc de dynamisme de nos économies.
Je suppose que ce sujet concerne essentiellement les délais de paiement des collectivités publiques ?
Non. Ce sujet concerne non seulement tous les acteurs économiques mais je dirais volontiers aussi les citoyens. Ce qui fonde la crédibilité et la performance d'une économie, d'un pays, moderne, c'est d'abord la sûreté des paiements et des délais entre collectivités publiques et entreprises mais également entre entreprises, et aussi avec les organismes sociaux et fiscaux.
Ces assises des délais de paiement se tiennent dans le cadre du troisième salon des maires. Cela a-t-il une signification particulière ?
Oui. Ces assises sont le produit non pas de la seule initiative de l’Union des Entreprises de Guadeloupe, mais d'une initiative conjointe entreprise avec Jocelyn Sapotille, maire du Lamentin, président de l'Association des maires de Guadeloupe. Cela est particulièrement significatif. Cette initiative conjointe s'inscrit dans une démarche citoyenne partagée de responsabilité. L'un et l'autre voulons rompre avec une « tradition d'insouciance », de laisser-aller, voire de marronnage, qui n'a que trop duré.
Nous voulons être, chacun dans notre sphère de responsabilité, des co-constructeurs d'un avenir meilleur pour notre archipel Guadeloupe. Nous considérons qu'est révolu le temps où nous attendions tout de Paris. A nous de prendre notre part de destin. Je suis convaincu que c'est au niveau territorial, par le développement de partenariats locaux : sociaux, privés, publics, que se trouvent les principales clefs de résolution des défis auxquels nous sommes confrontés. La tradition jacobine a atteint ses limites....
Nous ne sommes d'ailleurs pas seuls pour organiser cet événement. Nous avons des co-organisateurs particulièrement qualifiés tels que la FIGEC (Fédération de l'Information d'Entreprise de la Gestion des Créances et de l’Enquête Civile) et l'AFDCC (Association des Crédits Managers) qui ne sont autres que les organisateurs des Assises nationales des délais de paiement. Ainsi que de nombreux partenaires : Cocardless, Altares, American Express, Creansoft, BNP Paribas, Banque De France, Bpi, Esker, Euler Hermes, Sage Eloficash, Stratum.
Avez-vous des intervenants du niveau national ? Qui sont-ils ?
Bien sûr ! D'abord Jeanne-Marie Prost, Présidente de l'Observatoire des délais de paiement. Ce sont les premières Assises des délais de paiement qu'elle tiendra en territoire d'outre-mer. Elle nous présentera le rapport 2022 avec les données concernant les Outre-mer. Chose essentielle qui nous fait défaut depuis toujours. Nous aurons enfin des données fiables et précises.
Ensuite Frédéric Visnovsky, Médiateur du Crédit, Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, Jérôme Mandrillon, Secrétaire Général des Assises des délais de paiement, Nicolas Floriou, Président de l’AFDCC, Battista (FIGEC), et bien d'autres participeront à ces assises. Bien évidemment également le préfet, les présidents de la Région et du Département, l'Association des maires, le Directeur régional des Finances Publiques, les services administratifs concernés, etc.
Revenons aux délais de paiement de la commande publique. Quelle est la situation ?
D'abord un petit rappel de la situation économique globale : Les cinq RUP (régions ultrapériphériques) françaises (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte) sont les régions les plus pauvres de l'Union Européenne. Loin derrière les RUP ibériques qu'elles devançaient très largement avant. Un PIB/habitant de l'ordre de 60% de la moyenne nationale, un chômage très élevé, en particulier celui des jeunes, un déclin démographique aux Antilles... Bref une situation inacceptable qui impose un vigoureux effort de redressement.
Seul le secteur des entreprises peut créer les emplois nécessaires. Mais le secteur public est encore aujourd'hui le pilier de notre économie insulaire. Le ratio dépense publique/PIB est de plus de 75% en Guadeloupe. Alors qu'en métropole il est de l'ordre de 56%. D'où l'importance des délais de paiement de la dépense publique. Or, les délais de paiement des collectivités en Outre-mer sont très largement excessifs, surtout aux Antilles-Guyane et, en particulier, en Guadeloupe, où ils ont atteint un niveau inacceptable.
En Guadeloupe, les entreprises sont devenues les « banquiers des Collectivités locales ». L'encours des créances des entreprises sur les collectivités locales atteint des centaines de millions d'euros ! Si l'État et le Département payent globalement dans les délais, il n'en est pas de même pour la sphère communale dont de nombreuses connaissent de graves crises budgétaires proches de l'état de « faillite », avec de très longs délais de paiement d'une durée parfois inconnue.
La loi et la réglementation européennes, très précises en la matière, ne sont pas respectées, qu'il s'agisse des délais, des mandatements d'office, ou des intérêts moratoires qui, bien qu'obligatoires, ne sont pas, ou très rarement, mandatés d'office. L'État porte en l’espèce sa part de responsabilité : défaut de contrôle, laxisme, opacité, etc... Cette situation est très pénalisante non seulement pour notre développement économique mais aussi pour la vertu républicaine. Elle pèse bien évidemment sur l'équilibre financier des entreprises.
Ce déséquilibre est aggravé par la non-concordance de fait entre les délais de paiement de la commande publique et ceux concernant les paiements entre entreprises et, surtout, ceux des dettes fiscales et sociales. Enfin, nous sommes dans un espace insulaire de petite dimension humaine. Ne soyons pas naïfs ! Cette situation ne peut qu'inciter aux combines, pressions et autres illégalités contraires au droit et à la vertu démocratique.
Alors qu'attendez-vous de ces Assises ? :
La situation que je vous ai décrite est inacceptable, préjudiciable pas seulement pour les entreprises mais aussi pour notre économie et finalement pour tous. Elle n'est pas nouvelle. Elle a fait l'objet de nombreuses missions d'inspection et de rapports. Notre contexte, que j'ai rappelé au début de notre entretien, rend urgent la nécessité de mettre en œuvre les actions correctives. Nous ne pouvons pas rester dans le déni.
Bien évidemment tout ne pourra être réglé en un jour. Le problème est complexe. Comme tout problème, sa résolution nécessite une bonne connaissance des choses, des règles, du fond, des conséquences, des causes, pour définir les voies de résolution. Tel est l'objet de ces assises, qui sont d'abord un lieu d'échange, d'expression des connaissances et expériences, de réflexion... Je suis particulièrement heureux que ces Assises soient le fruit d'une initiative conjointe avec l'Association des Maires de Guadeloupe. C'est de très bon augure. J’en profite pour remercier vivement son président, Jocelyn Sapotille.
Comme lui, je pense qu'il ne peut y avoir de développement durable sans une gouvernance territoriale performante qui s'appuie sur une concertation avec les différents acteurs publics et de la société civile. On progresse toujours plus vite, plus loin, en allant à plusieurs et en additionnant nos parts de vérité.
Ces Assises de délais de paiement permettront de :
- rappeler la règle,
- dire qu'elle est la réalité vraie de la situation aujourd'hui,
- définir les objectifs et l'échéancier de leur réalisation,
- définir les mesures de redressement,
- définir les mesures temporaires pour faire face à cette situation dégradée,
- partager les bonnes pratiques,
- et, enfin, de traiter ce dossier en transparence.
L'état des délais de paiement doit être tenu à jour et connu de tous. Oui, les délais de paiement sont un sujet majeur d'une actualité prégnante.