A la découverte des traditions de Martinique: Le "Lasotè", un rituel agricole solidaire au rythme des tambours

© Association Lasotè

A la découverte des traditions de Martinique: Le "Lasotè", un rituel agricole solidaire au rythme des tambours

En Martinique, depuis plus de deux siècles, les hommes s’organisent en communauté pour labourer la terre de leurs ancêtres au rythme des tambours, des ti bwa, des konè (conque de lambi)et des chanteurs. En 2008, Annick Jubenot, ingénieure de formation,et des agriculteurs natifs de fonds Saint-Denis Joël Monin, Octave Cormier, Germain Maizeroi et bien d’autres fondent l’association Lasotè à Fonds Saint-Denis. Ils ont remis au goût du jour cette tradition séculaire.

 

A la façon de les voir manier la houe maraîchère, on songe à une chorégraphie que l’on aurait travaillé depuis des années pour s’assurer que le jour du rendu final, il n’y ait pas de surprise.

Les mouvements s'enchaînent, se mesurent et se répètent. Le repliement des phalanges sur le manche de l’outil agricole, les bras tendus, les muscles saillants, le balancement de haut en bas, évoquent des techniques maintes fois répétées et que chacun exécute à la perfection.

Tout se passe finalement dans une sorte de calme, de fluidité, de légèreté, au rythme des tambours et des voix du chanteur, le kryé . Une harmonisation entre la musique et les mouvements opérés sur la terre sont la clé de la réussite de cette pratique agricole. C’est l’esprit Lasotè.

Le Lasotè, une tradition séculaire

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les paysans du Nord Caraïbe, aux moyens financiers limités et dont les exploitations agricoles se situaient à flanc de montagne dans les zones les plus pentues où aucune charrue ne pouvait accéder, ont dû s’organiser en communauté solidaire pour vivre de leurs terres. L’essentiel de leur alimentation provenait des jaden, exploitations agricoles où l’on trouvait tout dans un seul hectare de terre. Leurs jardins  étaient le reflet d’une société structurée, organisée autour du travail de labour.

Le lasotè organisé autour des principes de solidarité et d’entre-aide a pour seul objectif la subsistance alimentaire des paysans. Il repose sur quatre grands principes : la gouvernance participative, la non-lucrativité, l’utilité sociale et la libre entrée et sortie de ses membres.

« Le lasotè n’est pas éloigné de la notion contemporaine d’économie sociale et solidaire en ce sens qu’il est caractérisé par une approche éthique et morale fondée sur la solidarité et l’utilité sociale. », souligne Annick Jubenot, directrice et membre fondatrice de l’association Lasotè.

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« Faire danser la terre »

Dans le lasotè, le travail conjoint de la terre est découpé en trois étapes portées par trois rythmes précis de travail. Le gran son est utilisé pour casser et dégrader la terre, le mazonn permet de sillonner la terre avant de commencer à planter et le riviè léza permet aux hommes de souffler après leur dur labeur. On écoute aussi le lafouye-té à Sainte Marie et Trinité et le fouye-té dans les sud de la Martinique.

Chaque type d’entraide porte un nom différent selon les travaux à réaliser. On parle de lasotè pour les travaux agricoles, de terrage kaï pour l’habitat, de gragé manioc pour la transformation du tubercule en farine mais aussi de dansé kako pour la transformation des fèves de cacao.

Une histoire d’hommes et de femmes

Le lasotè était principalement une histoire d’hommes. Les femmes assuraient les menus travaux, elles géraient l’économat et les repas sur les grands lasotè notamment car les paysans dormaient sur place. Elles étaient chargées du travail de la plantation et du suivi de la récolte.

Aujourd’hui les nouvelles générations ne l’entendent plus ainsi. Fières de leurs origines, elles n’en restent pas moins ancrées dans leur époque et privilégient la mixité et la diversité.

Résurgence d’un savoir-faire ancestral

C’est en Afrique qu’Annick Jubenot découvre pour la première fois l’organisation solidaire du travail de la terre, alors que son père, hydrologue y fait de la  coopération. Elle est subjuguée par le travail collectif rythmé par le chant et la musique. De retour à Fonds Saint-Denis en Martinique, elle interroge ses grands-parents et des anciens sur ces pratiques collaboratives. Elle est désarçonnée par les réponses qu’elle reçoit.  Si les uns restent évasifs, ne préférant pas aborder le sujet douloureux de la condition de la paysannerie aux Antilles, les autres tentent de la dissuader de s’intéresser à ces pratiques désuètes ancrées dans une autre époque. Sa grand-mère paternelle accepte de lui raconter sa jeunesse en tant que tenancière d'une débit de la régie d'une pension de famille à Fort-de-France où le troc et l’échange était l’usage.

Engagée, Annick Jubenot refuse d’être le témoin passif de l’effondrement de l’économie locale issue principalement de l’agriculture. Tout comme elle refuse d’accepter l’image péjorative du paysan rustre, alcoolique et ignorant. « L’histoire du lasotè en Martinique est un pan de notre histoire populaire dans laquelle il n’y a pas de héros. ».

Alors, en 2008, Annick Jubenot et des agriculteurs actifs et retraités se lancent et fondent l’association Lasotè dont l’objectif premier est la résurgence de certaines pratiques agricoles populaires : « Si on leur trouve de nouveaux usages ou si leurs qualités les rendent à nouveau intéressantes, elles se perpétuent ou renaissent ».

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Perpétuer les traditions pour les générations futures

« Le lien intergénérationnel est la base de notre association. »

La Lasotè c’est aussi une histoire de rencontres. Durant son apprentissage, Annick Jubenot croise le chemin de Monsieur Perriet, ancien paysan qui lui révèle des techniques de production séculaires pour une agriculture durable et saine. Mais Monsieur Perriet porte un lourd fardeau, celui d’une génération qui n’a pas su anticiper la nécessité de transmettre et de préserver la mémoire : « Ma génération vous demande pardon » lui dit-il, pour ne pas avoir mesuré la difficulté, pour les jeunes générations de sortir de la misère morale du monde moderne. Et il enjoint son étudiante à aider ces jeunes gens à revenir à la terre, la base de tous les processus naturels indispensables à la perpétuation de la vie.

Principe fondateur de l’association Lasotè, la transmission se matérialise à travers des dispositifs de découverte et de sensibilisation auprès des jeunes publics. L’association propose ainsi des visites et des ateliers découverte. Car le défi pour Annick Jubenot est de perpétuer les connaissances et les techniques des paysans des mornes du Nord Caraïbe.

Aux origines du Lasotè…

Pour certains, le terme provient de l’expression « à l’assaut de la terre ». Pour d’autres l’origine remonte au tambour guinéen OTTHO.  Annick Jubenot évoque également les tambours du Bénin et du Mali qui rythment les travaux agricoles collectifs.

Dans son ouvrage, Juliette Sméralda revient sur l’origine de ce terme créole en lien direct avec les cultures vivrières. Auparavant, les paysans antillais n’avaient ni le temps ni le loisir de se réunir à plusieurs reprises pour aider une même personne. Les sosyétés organisaient alors des volontaires le même jour chez la personne qui avait besoin d’aide.

Retrouvez l’association Lasotè au Quartier Trou Vent 97250 Fonds Saint Denis, en ligne https://lasotemartinique.com/le-lasote-martinique ou sur Facebook : https://www.facebook.com/lasote.ensemble?locale=ms_MY

Quelques ouvrages de référence pour mieux comprendre le lasotè :

Joseph Zobel, Diab'la

Christine Chivallon, Espace et identité à la Martinique: paysannerie des mornes et reconquête collective (1840-1960)

Isembert DURIVEAU et Jean-Marc TERRINE, Lasotè- Poésie de vie dans les pitons de la Martinique

Francesca Cozzolino et Sophie Krier, « Faire danser la terre », Le lasotè : un rituel agricole en Martinique ?

Juliette Sméralda, La culture de l'entraide. Un modèle d'économie alternative : le cas de la Martinique

 

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