Schéma directeur de l’Agriculture 2021-2030 en Polynésie : Développer, valoriser et sécuriser les ressources

Schéma directeur de l’Agriculture 2021-2030 en Polynésie : Développer, valoriser et sécuriser les ressources

Sous l’égide du Vice-président de la Polynésie, en charge de l’Agriculture Tearii Te Moana Alpha, le Schéma directeur de l’agriculture 2021-2030 de la Polynésie française (SDA-PF) est le fruit d’un travail collaboratif associant partenaires institutionnels et opérateurs privés du monde agricole des différents archipels. Financé par le Pays et l’État via l’AFD, il vise à réduire la dépendance de la Polynésie aux importations et donc à créer emplois et richesses localement. Un dossier de Sylvie Julien-Para pour notre partenaire, le magazine Dixit. 

La Polynésie a des ressources : agricoles, forestières, d’élevage.

Certaines permettent de répondre aux besoins de la population locale : 

  • c’est le cas des œufs (97 % de taux de couverture),
  • du miel (100 %), des produits vivriers (taro, patate douce, banane fe’i, taux de couverture de 98%),
  • de la viande de chèvre (97 %).

Pour d’autres ressources, la part de la production locale est plus ou moins importante :

  • 46 % de taux de couverture pour les légumes frais,
  • 50% pour les fruits frais,
  • 38 % pour le porc,
  • 14 % pour le bois,
  • et à peine 2 % pour le bœuf.

Depuis plusieurs années, le Pays débloque ainsi d’importants moyens pour développer l’agriculture et la sylviculture afin de réduire notre dépendance aux importations, créer de nouveaux débouchés et des emplois.

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Les crédits dédiés à la politique agricole sont ainsi passés de 1,3 milliards de Fcfp en 2016 à 8,6 milliards de Fcfp en 2020 (cf. tableau Projets validés), avec un engagement annuel de crédits atteignant 3 milliards en 2020 contre 602 millions en 2016 (cf. tableau Crédits de paiements).

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Avec le Schéma directeur de l’agriculture 2021-2030 (SDA), le secteur entre dans une nouvelle dimension : des moyens humains, financiers et matériels sans précédent sont mis à disposition, pour un budget total de 100,5 milliards de Fcfp sur 10 ans.

Objectifs : maintenir à l’horizon 2030 un nombre constant de 15 000 actifs agricoles au sein de 5100 exploitations réparties dans tous les archipels, accroître les terres cultivées (à 3 950 ha en 2030, contre 3 150 ha en 2020, hors cocoteraies et pâturages), et augmenter la production commercialisée dans les circuits formels (à 11,4 milliards de Fcfp en 2030 contre 8,2 milliards de Fcfp en 2020) et informels (fa’a’apu, vente sur les étals en bord de routes, autoconsommation… à 7,5 milliards de Fcfp dans 10 ans contre 7 milliards actuellement).

Afin d’y parvenir, 29 orientations sont proposées, privilégiant l’agriculture familiale, la promotion des circuits courts de commercialisation, la consolidation de filières à forte valeur ajoutée, la transition agro-écologique de l’agriculture polynésienne, le développement d’un mode de production bio…

Parmi ces grands axes stratégiques, la refonte des circuits de collecte et de commercialisation est au cœur de toutes les ambitions. Le Gouvernement entend ainsi :

  • Développer l’agro-transformation : construction d’ateliers de transformation dans les îles afin de valoriser les produits, réduire le gaspillage et les importations.
  • Favoriser les circuits courts de commercialisation pour ramener les produits locaux dans l’assiette des Polynésiens. En 2021, une loi de Pays fixera notamment aux cantines scolaires des 1er et 2nd degrés un minimum de produits locaux dans la confection des repas.
  • Renforcer la qualité : tendre vers une agriculture bio au maximum, du moins optimale en termes de qualité nutritionnelle et sanitaire (voir p 282).

Autre axe majeur de développement : la consolidation des filières de production. Si l’on pense immédiatement à la vanille et au coco, d’autres ressources commencent à se faire remarquer et sont amenées à se développer dans les prochaines années, à l’instar de la canne à sucre pour le rhum et du cacao pour le chocolat. Le Schéma directeur de l’agriculture dévoile également de grandes ambitions pour l’élevage et le bois local.

Filière élevage : augmenter et valoriser la production

Depuis deux ans, le Pays consacre 80 millions de Fcfp par an d’aides au développement de l’élevage. Si les consommateurs connaissent le lait frais made in fenua, peu savent que le bœuf local est aussi au menu de certaines cantines et collectivités et de certains restaurants. Le Schéma directeur de l’agriculture entend structurer et développer encore davantage cette filière grâce à plusieurs actions.

Augmenter la production et les moyens d’abattage

Les objectifs du SDA sont notamment :

  • Pour la viande bovine : une production supplémentaire de 30 % en 2030, dont 75 % orientée vers d’autres débouchés que la conserverie. Pour mémoire, la production (en tonnes équivalents carcasses, TEQ) traitée à l’abattoir de Papara est passée de 100 tonnes en 2012 à 150 tonnes en 2020. L’objectif pour 2030 est d’atteindre 200 tonnes.
  • Pour la viande porcine : l’objectif est d’augmenter de 40% la production annuelle à l’horizon 2030, soit à 1200 tonnes (TEQ), contre 850 tonnes en 2020 et 905 tonnes en 2012.

Pour écouler cette production, l’idée est de développer les circuits courts de commercialisation (cantines, restaurants, hôtels, magasins) en valorisant les morceaux nobles de viande qui actuellement finissent en conserve, et d’augmenter parallèlement les moyens d’abattage : pour l’heure un seul abattoir existe, situé à Papara. Un second abattoir sera créé à Raiatea en 2021 afin de traiter le cheptel des îles Sous-le-Vent et un troisième abattoir devrait voir le jour à Nuku Hiva en 2023.

Améliorer et assurer le suivi sanitaire des élevages 

C’est un enjeu majeur et la pandémie de Covid-19 a remis au premier plan la nécessité d’assurer une veille sanitaire exemplaire. Outre le renforcement de la Direction de la biosécurité (voir p. 282), un Groupement de défense sanitaire (GDS) chargé des questions de santé, d’hygiène animale et de qualité sanitaire du cheptel polynésien devrait être créé en 2021.

Évolution de l’élevage

  • Bovins : 4 670 têtes comptabilisées en 2012 ; 3 230 en 2020.
  • Caprins : 9 301 animaux en 2012 concentrés aux Marquises (83%), un chiffre équivalent ou en très légère diminution pour 2020.
  • Près de 233 000 poules pondeuses en 2019 pour une production estimée à 4,3 millions de douzaines d’œufs (soit 15,6 douzaines par habitant, en comparaison la moyenne hexagonale est à 18).

Filière bois local : Couvrir 60% des besoins du marché 

Depuis 2016, grâce à différentes aides du Pays, la filière bois local s’est développée : 8 entreprises de transformation/exploitation de Pins des Caraïbes et de Falcata sont actuellement en activité, auxquelles devraient s’ajouter 2 entreprises à Raiatea et Rapa en 2021, 1 à Nuku-Hiva en 2022 et 3 à Tahaa en 2023. Parallèlement, la production de Pins des Caraïbes est passée de 940 m3 en 2016 à 3500 m3 en 2020.

Malgré cette montée en puissance, l’exploitation de nouveaux massifs forestiers est indispensable. D’autant que la ressource est disponible : la surface de Pins des Caraïbes plantés au fenua dans les années 70’ s’étend sur 5300 ha et arrive à maturité, offrant des volumes de bois importants et de bonne qualité – meilleure que celle des bois importés et à un coût équivalent voire inférieur. Et la demande est importante : actuellement, la production de bois local scié ne couvre que 11,6 % des besoins, le reste étant importé de Nouvelle-Zélande et des États-Unis. L’un des objectifs phares du Schéma directeur de l’agriculture (SDA) est d’arriver à couvrir jusqu’à 60% des besoins du marché.

Exploiter le massif de Toovii, un projet majeur 

Le massif de Toovii à Nuku-Hiva compte à lui seul 655ha de Pins des Caraïbes, soit 71% de la ressource totale de l’île. Un nouvel appel à candidature sera lancé dès janvier 2021 (après un premier infructueux) pour exploiter et valoriser annuellement 15 000 m3 de bois rond (sur un volume total de 415 000 m3). Ce projet pourrait créer 27 emplois directs et couvrir 25 % des besoins annuels de la Polynésie en sciage, soit 7 500 m3 dédiés au bois d’œuvre.

Plantation Pins des Caraibes

Parallèlement, les résidus de bois utilisés comme biomasse (5 000 tonnes) pourraient couvrir jusqu’à 75% de la production d’énergie de Nuku-Hiva (plus de 7 000 tonnes de CO2 par an « économisées ») et produire de la chaleur pour des séchoirs (coprah, bois, poissons…) ; des études complémentaires sont en cours. Le Pays est en tout cas prêt à soutenir financièrement le futur investisseur, mais l’exploitation du massif du Toovii est conditionnée au respect d’un cahier des charges technique précis tant pour les travaux d’exploitation que pour le renouvellement des plantations.

Ce type de projet aurait également un effet démultiplicateur avec des retombées pour de nombreux secteurs (transports, construction…). Avec l’essor de la filière bois – on passerait de 3 000 m3 de sciages actuellement à 17000m3 en 2024 – les armateurs desservant les Marquises et les autres îles verraient leur volume de fret retour augmenter de plus de 80% avec 110 millions de Fcfp de CA supplémentaires estimés.

Le SDA prévoit ainsi de :

  • Créer des scieries pour exploiter la ressource de bois local,
  • Sécuriser les débouchés par la commande publique (construction des fare OPH…),
  • Améliorer la gestion des domaines déjà plantés,
  • Assurer le suivi des massifs forestiers sur le long terme pour une gestion durable de la ressource…

La Scierie De Papara – Tahiti Tuiles

La scierie de Papara, rachetée par Tahiti Tuiles en 2018, propose des couvertures en bois de Pin des Caraïbes, un produit sain fait pour durer au minimum 30 ans. La mise en route de la nouvelle ligne de scies – un investissement de 300 millions de Fcfp – a permis à la société de produire 10 fois plus, de gagner en qualité et de concurrencer le bois d’importation.

Scierie de Papara

Vers une diversification des essences forestières 

Une étude du CIRAD a permis de créer un référentiel des propriétés du Pin des Caraïbes qui peut donc être valorisé. Une autre étude sur les bois précieux va être menée afin d’assurer une diversification des essences proposées, notamment pour l’artisanat.

La Polynésie, un jardin d’Eden à préserver : Une mission confiée à la Direction de la biosécurité (DBS)

Aidez-nous à protéger nos îles ! La Direction de la biosécurité appelle à la responsabilité de tous pour préserver le fenua de nombreux nuisibles présents quasiment partout ailleurs dans le Pacifique et pouvant mettre en danger nos filières agricoles et notre sécurité alimentaire. Dans cette optique, les missions de la Direction de la biodiversité sont multiples et essentielles et le Schéma directeur de l’agriculture entend augmenter ses moyens humains et matériels.

Protéger les filières locales

Préserver nos cocoteraies : Afin d’éviter l’introduction au fenua de l’Oryctes rhinoceros capable d’anéantir une cocoteraie entière, une règlementation spécifique existe : toute importation de produits à base de coco ainsi que leur moyen de transport en provenance des pays infestés font l’objet d’un contrôle renforcé et d’un traitement.

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Protéger la production vivrière : Des contrôles et des plans de surveillance sont aussi déployés pour éviter l’introduction et la dissémination de maladies telles que le mildiou du taro ou la fusariose du bananier.

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Missions de la DBS :

  • Élaborer et appliquer la réglementation à la situation sanitaire du Pays.
  • Réaliser la veille sanitaire pour gérer efficacement le risque sanitaire.
  • Établir et coordonner les plans de lutte destinés à prévenir l’introduction et la dissémination d’organismes nuisibles.
  • Dès 2021, mettre en place le programme de gestion et de stérilisation des chiens errants et apporter aux communes un appui règlementaire.

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Accompagner le développement de la filière bois

La DBS met également en œuvre des mesures pour éviter l’introduction des scolytes des conifères, du nématode du pin et de son vecteur, qui pourraient avoir de graves conséquences sur l’exploitation des forêts.

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Sauver nos abeilles

Pour empêcher l’introduction du varroa – qui se nourrit du sang de l’abeille, affaiblit progressivement toute la colonie jusqu’à la décimer – l’importation de miel (qui pourrait être contaminé) est interdite et fait l’objet de contrôles renforcés.

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Innovations durables

Afin d’améliorer l’efficacité des contrôles, la DBS va se doter d’appareils à rayons X et de chiens renifleurs formés à la détection des denrées alimentaires et des nuisibles.

En projet également pour les produits végétaux destinés à l’exportation ou vers les îles : la mise en place d’une unité de traitement thermique, méthode plus respectueuse de l’environnement que l’actuelle fumigation (utilisation de bromure de méthyle réduite d’au moins 50 %).

Par ailleurs, la DBS, qui contrôle l’importation de pesticides à usage agricole, interdit petit à petit les molécules les plus dangereuses afin de les remplacer par des substances moins nocives pour l’environnement et la santé humaine, voire compatibles en agriculture biologique. Le Pays a tout à perdre si les mesures strictes de biosécurité ne sont pas appliquées et respectées.

Le Pays défend sa production bio, ses terroirs et savoir-faire

Deux lois adoptées en 2020 tendent à élargir la gamme des produits certifiables « bio » et mettent en place des labels de qualité et d’origine.

Extension de la gamme des produits certifiables bio

La loi du Pays n° 2011-01 du 10 janvier 2011 relative à l’agriculture biologique en Polynésie française, encadre le terme « biologique » pour garantir aux consommateurs la qualité des produits achetés sous ce signe : pratiques environnementales optimales, respect de la biodiversité, préservation des ressources naturelles et assurance d’un niveau élevé du bien-être animal. C’est la Norme océanienne d’agriculture biologique (NOAB) qui a été choisie comme référence pour les produits du Fenua, mais d’autres normes biologiques sont également approuvées par le Pays. Aujourd’hui, deux organismes certificateurs (BioAgriCert et Ecocert) et un système participatif de garantie (SPG Bio Fetia) assurent le respect du cahier des charges de la norme biologique choisie par les producteurs et autres opérateurs. Jusqu’à présent, seuls les aliments pouvaient être certifiés biologiques sur le Fenua.

La Loi du Pays n°2020/24 du 24 août 2020* étend la gamme certifiable à l’ensemble des produits agricoles et aquacoles, vivants, bruts et transformés. Ainsi, par exemple, les fleurs de tiare et autres graines entrant dans la composition de monoï ou de produits cosmétiques peuvent être certifiées biologiques.

Des amendes administratives pour punir un manquement aux dispositions énoncées dans la loi du Pays sont également prévues. Outre la suspension ou le retrait des agréments délivrés aux organismes de contrôle, ces amendes, d’un montant maximal de 10000 000 Fcfp, pourront être infligées aux personnes utilisant frauduleusement la mention « agriculture biologique ».

Protéger et valoriser la qualité et l’origine des produits

Le Fenua possède des terroirs et des savoir-faire uniques conférant à certains produits une typicité à valoriser et à protéger. Le monoï de Tahiti « Appellation d’Origine », est actuellement le seul produit polynésien possédant depuis 1992 un signe d’identification de qualité et d’origine (SIQO), mais la vanille de Tahiti et le rhum agricole de Polynésie française, s’inscrivent aussi dans cette démarche de valorisation.

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En complément du signe « agriculture biologique » déjà existant, la nouvelle loi du Pays n°2020/23 du 24 août 2020** instaure 3 nouveaux signes d’identification de qualité et d’origine des produits polynésiens issus de la production primaire et de l’artisanat traditionnel dont la composante principale est d’origine animale ou végétale :

  • L’appellation d’origine,
  • L’indication géographique,
  • Le label qualité supérieure équivalent du « label rouge » hexagonal.

« L’appellation d’origine » et « l’indication géographique » sont liées à un savoir-faire reconnu dans une aire géographique délimitée qui donne ses caractéristiques au produit ; le « label rouge » met en avant les qualités supérieures d’un produit par rapport aux autres produits similaires commercialisés. La demande de reconnaissance d’un signe d’identification de qualité et d’origine (IG ou AO) d’un produit polynésien doit être portée par l’ensemble des acteurs d’une même filière et répondre à un cahier des charges précis, contrôlé annuellement.

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Ces nouvelles dispositions permettent de mettre en valeur localement la qualité et l’origine des produits polynésiens auprès des consommateurs et de solliciter leur reconnaissance et leur protection au niveau européen.

Sylvie Jullien-Para pour le magazine Dixit

*Loi du Pays n°2020/24 du 24 août 2020 portant modification de la loi du Pays n°2011-1 du 10 janvier 2011 relative à l’agriculture biologique en Polynésie française

**Loi du Pays n°2020/23 du 24 août 2020 relative à la valorisation de la qualité et de l’origine des produits agricoles, forestiers, de l’artisanat traditionnel ou alimentaires et des produits de la mer en Polynésie française.

Photo - Couv SDAPF