Rafales, ravitailleurs… En Polynésie, l’Armée de l’air s'entraîne pour pouvoir intervenir dans le Pacifique « à tout moment »

©Charlie René / Radio 1 Tahiti

Rafales, ravitailleurs… En Polynésie, l’Armée de l’air s'entraîne pour pouvoir intervenir dans le Pacifique « à tout moment »

Ballet en haute altitude entre les îles de Bora Bora et Rangiroa, ce mercredi après-midi en Polynésie. Les trois avions Rafales arrivés à Tahiti lundi dans le cadre de la mission Heifara s’exerçaient aux manœuvres de ravitaillement en vol, grâce à l’A330 Phénix. Rencontre avec l’équipage de ce « tanker » polyvalent sur lequel l’armée veut s’appuyer pour être capables de déployer des flottes importantes de chasseurs-bombardiers dans le Pacifique en moins de 48 heures. Un reportage de notre partenaire Radio 1 Tahiti. 

Sur l’uniforme des pilotes et membres d’équipage, un patch attire l’œil. « Heifara – Wakea » y lit-on, autour de trois avions stylisés avec des motifs océaniens, dans un ciel rouge comme le drapeau polynésien. Symbolique forte pour mission de grande ampleur pour l’Armée de l’air : lundi, pas moins de huit appareils et 170 aviateurs avaient atterri à Tahiti. 

« Un déploiement vraiment exceptionnel, probablement la plus grosse mission de l’année », confie le major Pierrick. Chef des ARO (Air refueling operator ou opérateur de ravitaillement en vol), il rappelle les principaux objectifs de Heifara : montrer aux Polynésiens que l’armée « quoiqu’il se passe, sera là pour les protéger », développer la capacité française à déployer ses forces, « sans devoir compter sur d’autres nations », jusque dans le Pacifique… Et prouver, au passage, aux alliés américains, australiens ou indiens, que la France peut les appuyer tactiquement dans la région.

L'Airbus MRTT Phénix de l'Armée de l'air ©Charlie René / Radio 1 Tahiti 

En fin de semaine, la flottille s’envolera vers Hawaii puis vers la côte Est américaine, mais en attendant, c’est dans le ciel polynésien que les appareils s’exercent. Cet après-midi, l'entraînement consistait à ravitailler les Rafales en plein vol, grâce aux capacités d’un des deux A330 Phénix mobilisés pour Heifara. Cet appareil multifonction de 60 mètres de long, développé par Airbus et mis en service à partir de 2018, peut servir pour le transport stratégique, les évacuations sanitaires, peut « assurer la permanence de la dissuasion nucléaire » … Mais il brille surtout par ses capacités de « tanker ». Il emporte ainsi jusqu’à 110 tonnes de carburant dont une bonne partie peut être transférée à d’autres avions en plein vol. 

Pour cela, le Phénix utilise une perche rigide télescopique (« boom ») déployée en queue de l’appareil et commandée à l’aide de lunettes 3D depuis le cockpit. Pour les Rafales, c’est un autre système qui assure le ravitaillement : des « pods » installés sur les ailes déploient un tuyau souple d’une vingtaine de mètres se terminant par un panier-entonnoir. Le dispositif peut transférer jusqu’à 1,25 tonnes de carburant par minutes aux chasseurs, catégorie d’appareil plus connue pour sa puissance que son autonomie.

« À part les États-Unis, il n’y a pas d’autres pays qui sont capables de faire ça »

« Avec un tanker, on peut aller frapper beaucoup plus loin, assurer la police du ciel beaucoup plus longtemps », explique le major Pierrick. Pour venir en Polynésie, et grâce à des ravitaillements fréquents (toutes les deux heures environ), les Rafales ont battu un record : 12 heures sans se poser. Très long pour des chasseurs-bombardiers. « Dans le monde, peut-être à part les États-Unis, il n’y a pas d’autres pays qui sont capables de faire ça » reprend le chef ARO. Mais cette mission n’est qu’un premier pas. L’objectif fixé par l’état-major : être capable de déployer 20 rafales à 20 000 kilomètres (et donc en Polynésie) en moins de 48 heures. Le tout d’ici 2023.

Si l’A330 Phénix est un concentré de technologie, c’est bien la dextérité des pilotes qui assure la réussite de telles opérations. « Le ravitaillement, c’est une phase délicate, il faut rester le plus stable possible, éviter les zones de turbulence », rappelle le commandant Charles, commandant de bord du Phénix et chef des opérations de l’escadron Bretagne. 

Le commandant Charles, commandant de bord du Phénix et chef des opérations de l’escadron Bretagne ©Charlie René / Radio 1 Tahiti 

A plus de 500 kilomètres par heure (les Rafales, qui peuvent atteindre 1900 km/h sont alors à très bas régime) et entre 5000 et 15000 pieds, la concentration doit être « maximale ». « Surtout celle des chasseurs », précise le commandant. C’est au pilote du Rafale, à l’aide de son manche et de sa manette de gaz, de maintenir sa perche dans le panier de ravitaillement et d’effectuer les manœuvres d’approche et de dégagement.

Pas de problème cet après-midi pour les deux ravitaillements, effectués dans des zones dédiées, au large de Bora Bora, aux Îles sous-le-vent, puis de Rangiroa, dans l’archipel des Tuamotu. Ces opérations, capitales pour assurer certaines opérations militaires, font l’objet d’incessantes répétitions et n’échouent que très rarement. Malgré tout, « la phase reste dense, on n’a pas eu le temps de profiter des paysages magiques », sourit le commandant Charles.

©Charlie René / Radio 1 Tahiti 

Si l’A330 MRTT Phénix est aujourd’hui l’avion ravitailleur le plus emblématique de l’Armée de l’air, elle n’en opère pour l’instant que quatre, dans l’attente de plusieurs autres livraisons d’Airbus dans les prochaines années. Les Boeings C-135, vétérans de l’air mis en service en France depuis 1964 et qui ont vocation à être remplacés, peuvent aussi assurer ce type de mission, de même que les KC-135R, une autre version du même appareil. 

La France peut aussi compter sur quatre KC-130J, « Super Hercules » américains récemment entrés dans la flotte, et sur une autre nouveauté cette fois bien tricolore, l’A440M Atlas. Deux de ces avions de transports à turbopropulseurs (hélices), qui avaient déjà fréquentés la Polynésie pour prêter main forte pendant la crise sanitaire, font partie de la mission Heifara.

Reportage de Charlie René pour Radio 1 Tahiti