Essais nucléaires en Polynésie : Pour Sébastien Lecornu, il est temps « d’assumer »

Essais nucléaires en Polynésie : Pour Sébastien Lecornu, il est temps « d’assumer »

Au quatrième jour de sa visite polynésienne, le ministre des Outre-mer a rencontré, à la présidence de la Collectivité d’Outre-mer, élus et associations sur le dossier du nucléaire. Un mois avant la table ronde à Paris et deux mois avant la visite d’Emmanuel Macron, il assure vouloir avancer sans tabous sur le sujet. Un discours qui n'a cependant pas convaincu tous les participants. Le compte-rendu de notre partenaire Radio 1 Tahiti. 

Une quarantaine de personnes présentes, plus de deux heures de discussions… La réunion sur le fait nucléaire organisée ce lundi après-midi à la présidence de la Polynésie à Papeete pouvait avoir des airs de répétition générale avant la table ronde de haut niveau qui sera présidée par Emmanuel Macron, fin juin, à Paris. Mais il ne s’agissait que d’en poser les bases, côté méthode comme contenu. Pour Sébastien Lecornu, cette première rencontre avec les associations de victimes était surtout l’occasion de tenter, comme l’avait fait Édouard Fritch avant lui, de les convaincre de la bonne foi de la démarche.

De retour de l’atoll Moruroa, où il s’est déplacé dimanche pour « voir de lui-même de quoi on parle », le ministre des Outre-mer a ainsi insisté sur les objectifs de « justice et de vérité » qui guiderait cette proposition de table ronde, dans laquelle certains voient surtout de la « communication politique ». Pas de mystères, c’est bien la relance du débat par la parution de l’enquête Toxique qui a « rouvert les plaies et soulevé des questions » qui ont abouti à cette proposition de l’Élysée. 

Les indemnisations « particulièrement faibles »

Mais cet échange très formel serait aussi l’occasion de renouveler des discussions longtemps tenues par des responsables en poste au moment des essais. « Le président de la République a été élu à 40 ans, moi-même j’ai 34 ans, nous sommes d’une génération qui a une relation avec ce sujet des essais nucléaires qui est très apaisée », a expliqué Sébastien Lecornu. « Nous n’avons pas peur de la vérité, nous la voulons, et surtout nous souhaitons assumer ». Pour le président polynésien, autonomiste et en bons termes avec la France : « On n'efface pas d'un revers de main soixante ans de propagande d'État, de déni, d'intimidation, de mépris et d'arrogance ». 

« Assumer », donc, et avant tout sur la question des réparations. Pour les associations, la faiblesse des indemnisations accordées par l’État est, en soi, une preuve de sa mauvaise volonté sur le sujet. « On voit bien que ce qui a été imaginé par la loi Morin suscite parfois beaucoup de questions, les dossiers sont très complexes, les indemnisations sont parfois trop longues », reconnaît le ministre. « Le nombre de personnes indemnisées est particulièrement faible, en tout cas c’est un chiffre que je reconnais comme tel ». Il a d’ores et déjà appelé à « traiter les choses avec plus d’humanité », s’agissant des malades, pointant que l’approche « purement administrative, et technique », voire « technocratique » avait montré ses limites.

Au-delà des réparations, le ministre parle aussi d’une « justice territoriale ». Elle passerait par les dé-pollutions des sites d’essais, demandées de longue date. Mais aussi par l’accompagnement de « projet de développement » par l’État dans des îles très marquées par les essais ou le départ du CEP, comme Hao, ancienne base arrière, ou Mangareva dont les tavana étaient présents à la réunion. Une sorte de d’indemnisation des atolls les plus touchés. 

Ne pas avoir peur « des vérités », y compris du côté financier

Pas question, pourtant, de donner à des revendications sur de simples bases politiques. « Cette vérité ne se fera pas dans la politique politicienne », indique le ministre, qui ajoute, aux côtés d’Édouard Fritch, « je ne suis pas candidat à une élection en Polynésie française ». Côté méthode, il entend donc laisser « toute sa place au débat scientifique », notamment dans la confrontation des « thèses » avancées dans l’ouvrage Toxique et la « hiérarchisation » des questions posées. 

Une précision qui, peut-être, ne ravira pas ceux qui espéraient voir sortir de cette réunion, où de la visite présidentielle en Polynésie – désormais annoncée pour le mois de juillet – des annonces radicales et rapides. Car les confrontations scientifiques, comme l’a montré le travail peu concluant de l’Inserm sur les conséquences des essais, n’ont souvent pas la même temporalité que le débat public.

Lire aussi : Essais nucléaires en Polynésie : Joël Allain et le préfet Alain Rousseau nommés coordonnateurs de la table ronde à Paris

Quoiqu’il en soit, Sébastien Lecornu assure que les discussions n’auront pas de tabou et doivent explorer « toutes les vérités ». Y compris celle des retombées matérielles du Centre d’expérimentation du Pacifique pour la Polynésie. « Ça n’est pas l’État seul qui l’a imposé, il y a aussi un territoire qui l’a accueilli, avec des élus qui ont participé à un certain nombre d’échanges et de travaux ». Les vérités, « plurielles », seraient donc aussi celles de l’impact des essais en matière de finances, d’infrastructures ou de fiscalité. « Il ne faut pas avoir peur d’avoir un débat global sur ces vérités ».

« C’est trop facile de dire qu’on est nouveau »

Cette approche proposée par Paris n’a visiblement pas convaincu tout le monde. Lors de cette réunion de préparation, seul Moetai Brotherson, invité en tant que député, était présent côté indépendantiste, puisque membre du parti d’Oscar Temaru, adversaire politique historique des essais nucléaires. Le Tahoera’a de Gaston Flosse, convié comme toutes les autres forces politiques de l’Assemblée territoriale, n’a pas répondu présent. Gaston Flosse, ancien président de la Polynésie, avait longtemps défendu les essais français. 

Pour le député indépendantiste Moetai Brotherson, le président de la République doit venir en Polynésie avec « deux gestes forts » : « Le premier, c'est une demande de pardon, qu'on n'a toujours pas eu. Si le président vient en juillet et qu'il ne fait pas ce geste-là, il sera venu pour rien ». Mais pour le ministre, « assumer, poser ce qu'est rendre justice et ce qu'est la vérité, est plus fort que le pardon », a-t-il dit devant la presse à l'issue de cette réunion. Le député Brotherson souhaite aussi un mécanisme d'indemnisation en lien avec l'environnement. « Il ne faut pas attendre que Moruroa s'effondre pour se poser la question : est-ce qu'on aurait dû, est-ce qu'on aurait pu ? », dit-il. 

Les associations de victimes, elles, étaient bien présentes. Mais ne paraissent pas, aujourd’hui, toutes convaincues. Hiro Tefaarere, président de l’association Moruroa e Tatou qui défend depuis 2001 les victimes des essais, estime par exemple qu’il est « trop facile » de « dire qu’on est nouveau », de mettre en avant sa jeunesse pour « gommer l’histoire ». « J’ai peur que ça soit uniquement une opération de communication et j’ai peur que ça soit uniquement parce qu’il y a les élections présidentielles à l’horizon », a-t-il ajouté. 

L’association Moruroa e Tatou et l’Église protestante Ma’ohi ont pour l’heure annoncé qu’ils ne participeraient pas à cette table ronde, dont ils avaient demandé l’organisation en Polynésie plutôt qu’à Paris. Mais pour le ministre, le choix de la Capitale « est aussi une facilité pour avoir le plus grand nombre possible », parmi lesquels députés, sénateurs et experts pour « avoir une confrontation intellectuelle scientifique qui soit rigoureuse et sérieuse. Le faire à Paris, c'est évidemment cette assurance-là ». De leurs côtés, les indépendantistes d’Oscar Temaru demandent l’arbitrage de l’ONU.

Charlie René pour Radio 1 Tahiti.