En Nouvelle-Calédonie, le sens d'un référendum sans les indépendantistes interroge

©FLNKS (Illustration)

En Nouvelle-Calédonie, le sens d'un référendum sans les indépendantistes interroge

En Nouvelle-Calédonie, l'appel des indépendantistes du FLNKS à ne pas participer au référendum du 12 décembre sur l'indépendance, à cause de l'impact de l'épidémie de Covid-19, interroge sur l'intérêt de maintenir un scrutin dont la validité pourrait être remise en cause.

« Les Kanak ne vont pas boycotter de façon active mais ils n'iront pas participer et le résultat sera donc sans aucune portée. Ce sera un coup d'épée dans l'eau », met en garde Patrice Godin, maître de conférence en anthropologie à l'Université de Nouvelle-Calédonie (UNC). Alors que le troisième et dernier référendum de l'accord de Nouméa (1998) est programmé pour le 12 décembre prochain, une virulente première vague de Covid-19, qui a jusqu'alors fait 261 morts, est venue début septembre percuter son déroulement.

Ultime étape d'un processus de décolonisation progressif, inédit dans l'histoire de France, ce référendum a été précédé de deux autres les 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020, remportés par les pro-France d'abord avec 56,7% des voix puis avec un score tassé à 53,3%. A chaque fois, la participation a atteint des sommets (81% et 85,6%). La décision relevant de sa compétence, l'État a arrêté en juin dernier la date de la troisième consultation au 12 décembre, avec le soutien des loyalistes mais les réserves voire l'opposition des indépendantistes kanak.

Toutefois, le 21 août dernier, les deux camps avaient donné le coup d'envoi officiel de leurs campagnes, avec chacun pour cible les indécis et les abstentionnistes, clés de la victoire. Le Covid-19 les a brutalement interrompues. Et jeudi 21 octobre, le FLNKS a appelé « à la non-participation à la consultation » si la date du 12 décembre était maintenue, et a demandé son report à septembre 2022. Il a argué d'une campagne inéquitable dans un contexte où l'indispensable aide de la France pour affronter la crise est sous les projecteurs, où les mesures de confinement empêchent les rassemblements et où la communauté kanak est meurtrie par les deuils. 

La consigne indépendantiste est intervenue au lendemain d'une visite à Nouméa de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, qui a répété que « dans une démocratie, les élections se tiennent à l'heure dite ». Il n'a toutefois pas exclu un report du référendum si l'épidémie devenait « hors de contrôle ». La question devrait être tranchée dans les premiers jours de novembre et sur place, l'État se dit « prêt » à organiser le vote, pour lequel un dispositif de sécurité exceptionnel est en cours de déploiement.

« Ré-enterrer les morts »

Les loyalistes, qui s'alarment du marasme économique consécutif aux incertitudes institutionnelles, accusent le FLNKS « d'instrumentaliser la crise sanitaire par manque de courage politique » alors que l'épidémie est en net repli et que la vaccination progresse. « Ça fait trois ans qu'on est en campagne. Qu'est-ce qu'on va dire de plus ? », assène Nicolas Metzdorf, président de Générations-NC, mentionnant que ce troisième vote était facultatif et que ce sont les indépendantistes qui l'ont demandé. 

Hors micro, certains leaders loyalistes s'inquiètent toutefois d'un passage en force du gouvernement. « Est-ce qu'on peut raisonnablement décider si on sort ou pas de la République sans campagne ? On file tout droit vers une contestation du résultat, au mieux par voie légale, au pire sur le terrain », confie l'un d'eux.

Alors que près de 60% des morts du Covid sont Kanak, Patrice Godin estime que la grille de lecture de cette non-participation est plus sociologique que politique. « Si on ignore le sens du deuil dans le monde océanien, on ne peut pas comprendre la situation. Il y a tout un travail coutumier qui ne peut être fait à cause du virus et tant qu'il ne sera pas terminé, aucune campagne n'est possible », explique-t-il. 

Président du mouvement Construire Autrement, Joël Kasarhérou rappelle pour sa part que « le mariage et la mort sont les temps forts de la vie coutumière kanak », très ritualisée. « C'est à ces moments-là que les monnaies (traditionnelles, ndlr) circulent, qu'on retisse les liens de parenté par des palabres », indique-t-il, précisant que les deuils sont l'occasion de grands rassemblements. « Quand la crise sera passée, il faudra ré-enterrer les morts ». 

Avec AFP.