Emmanuel Macron en Polynésie : « La Nation a une dette » concernant le nucléaire, a reconnu le président de la République

Emmanuel Macron en Polynésie : « La Nation a une dette » concernant le nucléaire, a reconnu le président de la République

Le chef de l’État a tenu son discours final dans le cadre de sa visite de quatre jours en Polynésie française, visite qui l’a menée jusqu’aux îles Marquises et dans l’archipel des Tuamotu. Parmi les annonces phares : un 3ème prêt garanti par l’État de 300 millions d’euros, 700 000 euros pour la condition féminine ou encore, 60 millions d’euros pour les énergies renouvelables. Concernant le sujet des essais nucléaires, pas de pardon de l’État demandé par les associations mais la reconnaissance d’une « dette » de « la Nation ».

« Je ne serais pas pleinement sincère avec vous si je ne parlais pas de cette part d’ombre (…), de cette part de doute » a déclaré le président de la République depuis Papeete, ce mercredi 28 juillet (mardi 27 pour la Polynésie). « La Nation a une dette à l’égard de la Polynésie française » a-t-il reconnu dans ce discours clôturant une visite de quatre jours dans cette Collectivité du Pacifique sud. « Je veux tout assumer sans facilité, avec vérité et responsabilité. J'assume que la France soit une puissance dotée » a-t-il également déclaré, estimant que « le Général de Gaulle a fait des choix forts utiles et qui nous servent aujourd'hui (…), un choix important, visionnaire, courageux ». 

« Je pense que c'est tout à fait vrai qu'on n’aurait pas fait ses essais dans la Creuse ou en Bretagne » a-t-il également reconnu, « on l'a fait ici parce que c'était plus loin. (…) Que ça n'aurait pas les mêmes conséquences ». Selon le chef de l’État, « cette dette est le fait d’avoir abrité ces essais et en particulier les essais nucléaires entre 66 et 74 dont on ne peut absolument pas dire qu’ils étaient propres » a-t-il poursuivi, évoquant ainsi les 46 essais aériens réalisés sur les atolls de Moruroa et Fangataufa, entre 1966 et 1974. À partir de cette date, la France a réalisé 147 essais souterrains dans les sous-sols de ces deux atolls de l’archipel des Gambier, au sud-est de Tahiti. 

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Mais si ces essais n’étaient pas propres, « les scientifiques ne vous ont pas menti » a assuré Emmanuel Macron. « Il n'y a pas eu de mensonge, il y a eu des risques qui ont été pris (...) par tous, y compris par les militaires qui étaient présents ». Reconnaissant que « trop longtemps, l'État a souhaité garder le silence », le chef de l’État dit vouloir « briser ce silence pour faire entendre la vérité (…) et la transparence ». « Les archives seront ouvertes sauf quand elles peuvent fournir des informations proliférantes. Pour le reste, elles seront ouvertes » a-t-il ainsi confirmé, comme l’avait annoncé la ministre déléguée auprès des Armées, Geneviève Darrieussecq. « Un chargé de mission sera placé directement auprès du Premier ministre et assurera ce contact entre le Pays et l'État ». 

Plus tôt dans la journée, alors qu’il était en visite sur l’île de Moorea, Emmanuel Macron a échangé quelques mots avec des militants de l’association 193, qui accompagnent les victimes de ces essais et réclament une meilleure indemnisation de celles-ci. « Je veux que nous indemnisions mieux » a-t-il assuré à ce sujet. Et comme annoncé à Paris début juillet, lors de la table ronde sur les essais nucléaires, Emmanuel Macron a insisté sur la fameuse politique du « aller vers » les victimes : « Que les services de l’État puissent aller directement au contact (…), identifier les victimes et les aider à faire valoir ce qui leur revient ». Il a aussi évoqué un prolongement des délais de dépôt des dossiers, notamment pour les ayants-droits, et « les moyens humains et financiers du Comité d’indemnisation seront renforcés ». 

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« On ne peut pas tout prendre en charge de manière indifférenciée » a toutefois déclaré le chef de l’État, faisant notamment référence à la Caisse de prévoyance sociale (CPS, équivalent de la Sécurité sociale) qui réclame plus de 670 millions d’euros de remboursement pour avoir pris en charge les soins de patients polynésiens atteints de maladies radio-induites et ce, depuis 1985. Autre aspect important du passé nucléaire français en Polynésie : l’environnement. À ce sujet, Emmanuel Macron a assuré que « l’État prendra à sa charge les coûts exceptionnels liés à la dépollution ». « Dès décembre, notamment à Mangareva et Tureia, nous engagerons le retrait des matériaux abandonnés par les armées depuis trop longtemps » a-t-il ajouté. 

« Aucune surprise »

Si le président de la République a vivement été applaudi par l’assistance présente, composée essentiellement des élus locaux, les associations qui militent pour une meilleure indemnisation, ou encore le parti indépendantiste, se sont montrés déçus, notamment sur l’absence de demande de pardon. « Les engagements pris par ailleurs sont ceux qui avaient déjà été annoncés. Il n’y a aucune surprise (…). Je pense qu’Emmanuel Macron est un homme intelligent. Je pense qu’il peut encore évoluer sur cette question » a commenté le député indépendantiste Moetai Brotherson, interrogé par TNTV. Du côté de l’association 193, on se montre plus tranché : « Le Président Macron vient de raconter les conneries qu’on entend depuis les essais nucléaires » a ainsi dénoncé le père Auguste Uebe-Carlson, président de cette association. « L’ouverture des archives était déjà prévue par le Conseil d’État. Et les indemnisations, au travers de l’État administratif (…) seront encore une fois le lot du guichet unique » a-t-il poursuivi, évoquant « de la démagogie et des propos d’une certaine lourdeur ». 

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Interviewé par les chaînes locales TNTV et Polynésie La 1ère, Emmanuel Macron s’est justifié sur cette absence de pardon : « Je me méfie des facilités. (…) Le plus important pour moi, ce sont les femmes et les hommes qui ont eu à subir les conséquences. (…) On leur doit vérité et transparence. On doit les indemniser et les accompagner » a-t-il martelé, espérant « que celles et ceux qui ont été victimes de ça m’accordent leur pardon ». Le sénateur polynésien Teva Rohfritsch, qui siège au groupe RDPI (Larem), a salué des « mots forts sur cette période » et sur l'indemnisation des victimes des essais.  

Outre les annonces liées au sujet des essais nucléaires, le président de la République a naturellement fait des annonces sur le plan économique et social, et notamment dans un contexte de crise sanitaire et économique. Il a ainsi confirmé un troisième prêt garanti par l’État (PGE) d’un montant de 300 millions d’euros pour la Collectivité. « L’AFD pourra valider ce prêt » a-t-il ajouté, assurant que ce PGE permettra aussi la compagnie internationale polynésienne, Air Tahiti Nui. Soulignant une « fierté » locale, « cette entreprise qui est au cœur de votre projet, nous devons l’accompagner par ce prêt » et par une éventuelle recapitalisation actuellement étudiée par le CIRI. Toujours sur le volet économique, Emmanuel Macron a annoncé un fonds doté de 60 millions d’euros pour les énergies renouvelables en Polynésie, d’ici 2023 à 2026.

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Emmanuel Macron a annoncé un soutien de 700 000 euros pour l’extension du centre Pu o te Hau, qui accueille et accompagne des femmes victimes de violence. Il a aussi souligné le « travail unique et remarquable » du Régiment du Service militaire adapté (RSMA) en Polynésie et a annoncé le déploiement prochain d’une compagnie dans l’archipel des Tuamotu-Gambier, en plus de la compagnie des îles Marquises et celle de la commune de Arue, sur l’île de Tahiti. Cette nouvelle compagnie pourrait être installée sur l’atoll de Hao, « parce que nous devons à cet archipel un engagement particulier (…). Nous devons rendre beaucoup de ces lieux plus propres ». Cet atoll a notamment servi de base arrière militaire pendant les essais nucléaires.

Autre annonce sur le volet de la santé, Emmanuel Macron a confirmé vouloir « faire davantage face aux nouveaux cancers », en permettant de « développer de la recherche, des essais cliniques mais aussi des traitements ici en Polynésie française ». « J’ai souhaité que le gouvernement de la Polynésie française puisse s’appuyer sur les meilleurs spécialistes ». Une mission doit prochainement avoir lieu pour « bâtir un partenariat nouveau en matière d'oncologie qui permettra avec de développer un pôle qui pourra mieux prévenir, mieux diagnostiquer et mieux traiter les cancers ». Ce « pôle de cancérologie sera créé avec de la recherche, des essais cliniques, des traitements pour une meilleure prise en charge des nouveaux cancers ». 

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Pour Emmanuel Macron, impossible de se rendre dans une Collectivité du Pacifique, ou un Département de l’océan Indien sans évoquer la stratégie Indopacifique. « Dans les temps qui courent, malheur aux petits, aux isolés », a-t-il prévenu. « Ici c'est la Polynésie, mais ici c'est la France et vous serez protégés », assurant que ce territoire est « au cœur » de cette stratégie géopolitique et mettant en garde contre « des projets exotiques, aventureux, aux financements incertains, avec d'étranges investisseurs : Méfiez-vous, ce n’est pas une bonne idée ». Il fait notamment référence à un projet de ferme aquacole sur l’atoll de Hao, possiblement financé par un investisseur chinois. La Polynésie sera aussi au centre du prochain congrès mondial de l'UICN à Marseille, en septembre.

Avant de se rendre en Polynésie, l’Élysée avait assuré que le chef de l’État porterait un « regard » vers la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna. Pour la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron dit avoir « confiance en l’avenir à poursuivre le dialogue commencé il y a 30 ans ». « La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie » a-t-il poursuivi, faisant référence à son discours de Nouméa en mai 2018, quelques mois avant le premier référendum d’indépendance, « il faudra construire les institutions durables d’un destin qui doit rester commun ». « Vous pouvez compter sur mon engagement énergique, fidèle et entier » a-t-il lancé à la population de Wallis et Futuna, dont une délégation d’élus s’est déplacée à Tahiti pour s’entretenir avec le président de la République avant son retour à Paris. Ce territoire fêtera par ailleurs, ce jeudi, le 60ème anniversaire de son statut au sein de la République. 

 « Un peuple marin et guerrier »

« J’ai vécu tellement de choses à vos côtés » a confié le président, dans un registre davantage de l’ordre de l’émotion. « J'ai été saisi des vertiges et de la beauté de cette culture et de cette nature », a-t-il déclaré, s’estimant « fier que cette culture ancestrale » qui s’étend de Hawaii à la Nouvelle-Zélande « ait son épicentre ici, en Polynésie française ». « Je n’oublierais jamais chacun des instants que j’ai vécu à vos côtés », a poursuivi le chef de l’État, « je n'oublierais jamais les Marquises, Manihi ». Aux îles Marquises, il a apporté son soutien à la candidature de cet archipel à l’UNESCO tandis que sur l’atoll de Manihi, Emmanuel Macron a souligné le défi climatique.

Évoquant un « un peuple marin et guerrier » qui a choisi « de s’inscrire dans la France mais de garder ses traditions », Emmanuel Macron assure : « Je ferai tout ce que je peux pour que nous continuions de les transmettre aux plus jeunes et aux générations qui viendront ». Le chef de l’État a conclu son long discours comme il l’a ouvert, par quelques mots en Tahitien : « Ua here au ia ‘outou (je vous aime) », a-t-il ainsi lancé, avant de terminer sur un traditionnel « ia ora Porinetia, ia ora te hau Repupirita, ia ora te Hau farani (vive la Polynésie, vive la République, vive la France) ». Le président de la République est désormais sur le chemin du retour à Paris, où le climat plus morose promet de contraster avec l'accueil souvent spectaculaire qui lui a été réservé en Polynésie française.