Décolonisation : Confrontation indépendantistes et pro-France de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie à l’ONU

Décolonisation : Confrontation indépendantistes et pro-France de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie à l’ONU

À l’occasion de la 77ème session de la Quatrième commission des Nations unies, chargée notamment de la décolonisation, indépendantistes et pro-France de Nouvelle-Calédonie et Polynésie française se sont confrontés lors des auditions de pétitionnaires des territoires inscrits sur la liste onusienne des territoires non autonomes. 

Un peu d’histoire. Début 1946, l’ONU élabore la liste des territoires non autonomes c'est-à-dire « dont les populations ne s'administrent pas encore complètement elles-mêmes ». Aussi appelée liste des territoires à décoloniser ou liste des territoires non décolonisés, elle comprend des territoires qui ont refusé l'indépendance par référendum ou qui ont élu des représentants qui ont choisi de refuser l'indépendance. 

Dans sa première mouture, on retrouvait dans cette liste d’anciennes colonies françaises comme l’Indochine (retirée entre 1946 et 1953), les Établissements français dans l’Inde (retirés 1947), le Maroc (retiré en 1956 à l’indépendance du pays) ou encore, Madagascar, le Cameroun, le Togo, l’Afrique-équatoriale française et l’Afrique-occidentale française, retirés en 1960 suite à leur accession à l’indépendance. On y retrouvait aussi l’ensemble des actuels Outre-mer, retirés en 1947 lorsque ceux-ci accèdent aux statuts de Départements ou Territoires.

En 1986, pendant les « événements », Jean-Marie Tjibaou et les indépendantistes kanak obtiennent la réinscription de l’archipel calédonien sur cette liste. Depuis, l’ONU suit étroitement le processus de décolonisation entamé en 1988 et a, par ailleurs, envoyé plusieurs missions d’observation, notamment pendant les référendums de 2018, 2020 et 2021. En 2013, l’indépendantiste polynésien Oscar Temaru obtient à son tour la réinscription de la Polynésie sur cette liste. Depuis leur réinscription respective, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont annuellement entendues lors des sessions de la  Quatrième commission de l’ONU, à travers des pétitionnaires.

Cette année, les polynésiens ont été une vingtaine à s’exprimés : 19 indépendantistes, militants anti-nucléaires et représentants de la société civile, face à un représentant du gouvernement local, autonomiste attaché au maintien dans la République. Pour la Nouvelle-Calédonie, l’archipel était représenté, côtés indépendantistes, par Louis Mapou, président du gouvernement, et Roch Wamytan, président du Congrès, et côté non indépendantiste, par l’élue de la province Sud, Naïa Watéou et un conseiller de cette même collectivité, Renaldo Bourgeois, s'exprimant au nom de la jeunesse calédonienne.

« Politique de la chaise vide » et essais nucléaires 

Entendu en premier au nom du gouvernement polynésien, le ministre René Temeharo a défendu le statut d’autonomie de la Collectivité, et ses compétences en matières « économique, fiscale, foncière, éducative, sanitaire, culturelle, ainsi que dans la gestion et l’exploitation de nos ressources naturelles et dans la gestion de notre vaste zone économique exclusive de 5 millions de kilomètres carrés ». Le ministre mandaté par le président polynésien Édouard Fritch, a aussi rappelé les aides de l’État pendant la pandémie, comprenant vaccins, aides financières et prêts garantis, assurant que l’« autonomie » polynésienne est un « partenariat économique, technologique et sécuritaire fort avec la France ». 

Sur le dossier du nucléaire, « le travail se poursuit en partenariat et en concertation avec l’État français avec une célérité accrue depuis la visite du Président Macron en juillet 2021 » a-t-il insisté, assurant que « les engagements pris par le Président de la République française sur notamment, l’ouverture des archives, l’amélioration et facilitation des indemnisations, les réparations économiques, sociales et environnementales, l’enseignement du fait nucléaire dans les écoles, ainsi que la construction d’un Centre de mémoires, avancent d’un pas ferme ». Il a aussi estimé que la victoire des indépendantistes aux dernières législatives était un « vote sanction » et non un vote d’adhésion.

De leur côté, les représentants du parti indépendantiste polynésien, mené par son fondateur Oscar Temaru, ont critiqué « la politique de la chaise vide » de l’État depuis la réinscription de la Polynésie en 2013. « Neuf ans après la réinscription de la Polynésie française à l’ordre du jour de la Quatrième Commission, on attend toujours que la France fasse preuve de grandeur et ouvre enfin le dialogue sur la décolonisation en vue de l’organisation d’un référendum d’autodétermination », a déclaré Anthony Geros, représentant indépendantiste à l’assemblée locale. « Nous voulons être en mesure de traiter avec l’État français sur un pied d’égalité, afin que soit réalisée notre aspiration profonde à rejoindre l’assemblée des nations souveraines » a ajouté de son côté le député Temata’i Le Gayic.

C’est aussi sur le volet des essais nucléaires que les pétitionnaires polynésiens ont été entendus. « Les essais nucléaires français étaient le résultat direct de la colonisation, et ils ont été imposés au peuple sous la menace d’un régime militaire s’il refusait », a déclaré un membre de l’association Moruroa e Tatou, qui aide les vétérans des essais. « Sur une population de 280 000 habitants, 800 nouveaux cas de cancer sont détectés chaque année depuis des décennies » a ajouté une représentante de l’association 193, rappelant que « 193 essais nucléaires ont été réalisés par la France en Polynésie française de 1966 à 1996, soit l’équivalent de 800 bombes d’Hiroshima ». « L’État verrouille l’indemnisation en imposant des seuils au-delà desquels la France se défausse vis-à-vis de milliers de malades et de morts » a-t-elle ajouté.

L’exploitation des ressources des fonds marins, « qui sont la propriété de la seule population polynésienne autochtone » a également été au menu des plaidoyers, notamment par la pétitionnaire Sandrine Tupai-Turquem, pilote de ligne, qui demande un « moratoire » sur celles-ci. « Le colonialisme par consentement est tout de même du colonialisme », a ajouté une autre représentante de la société civile polynésienne, quand Oscar Temaru estime qu’ « il n’y a pas de véritable démocratie dans un territoire où la démocratie est gérée par un autre pays ».  

Avenir institutionnel calédonien 

Après la Polynésie, Gibraltar et Guam, c’est la Nouvelle-Calédonie qui a été à l’ordre du jour ce mardi. Le président du gouvernement Louis Mapou a souligné que « le peuple de Nouvelle-Calédonie, composé de son peuple autochtone, le peuple kanak, et de toutes ses communautés qui y sont enracinées, chemine depuis 30 ans pour donner forme au socle de son appartenance identitaire, émancipée des séquelles du processus de colonisation ». Il a toutefois estimé que la « crédibilité » et la « légitimité » du dernier référendum est « entachée » par le boycott de l’électorat indépendantiste kanak, ayant eu pour issue un taux de participation en dessous des 50%. « Même si les trois consultations référendaires ont révélé que les deux grandes visions de l’avenir subsistent, c’est un fait que la Nouvelle-Calédonie aspire à assumer toutes ses responsabilités » a ajouté Louis Mapou. 

« La Nouvelle-Calédonie est désormais engagée dans un rôle diplomatique et de coopération, égal à des nations souveraines sur la scène régionale, qui la place aux confins des attributs de souveraineté » a-t-il également déclaré, faisant référence à la participation de l’archipel au sommet entre les États-Unis et les îles du Pacifique. « La redéfinition d’un nouveau champ d’exercice de la souveraineté entre la Nouvelle-Calédonie et la République française », a-t-il ajouté, souhaitant un « projet d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie » qui « doit désormais permettre d’accéder au champ des possibles au même titre que les autres nations du monde, notamment nos pays frères de Mélanésie ». 

Se projetant sur les prochaines discussions entre l’État et les partenaires politiques de l’accord de Nouméa, Louis Mapou appelle l’État à « promouvoir cette nouvelle étape qui acterait le caractère mature de l’exercice de la responsabilité par les Calédoniens eux-mêmes et leur volonté de s’assumer pleinement ». « Différents schémas de transition existent, et pourraient être accompagnés par tous les acteurs, dont l’ONU et le Forum des îles Pacifique », a ajouté Louis Mapou. 

« Le peuple (kanak, ndlr) a refusé de participer au référendum de 2021 en raison de la pandémie de COVID-19 et de l’impossibilité de réaliser une consultation dans les règles » a rappelé Roch Wamytan, comparant le maintien du 3ème référendum le 12 décembre 2021 comme un « mépris des traditions du peuple kanak ». « Il s’agit d’un simulacre de référendum, qui devait clore un chapitre de la colonisation, volé par l’État français qui est sorti de son principe de neutralité », s’est insurgé Roch Wamytan.  « La mouvance indépendantiste doit donc se tourner une fois de plus vers l’ONU pour faire valoir son droit à l’autodétermination et à la souveraineté ».

Pour les non indépendantistes, « les Calédoniens ont exprimé leur rejet du projet porté par le FLNKS et leur volonté farouche d’inscrire définitivement leur avenir au sein de la République française » a déclaré la représentante Naïa Watéou. Pour l’élue de la province Sud, les indépendantistes -qui ont la majorité au gouvernement, au Congrès ainsi qu’aux provinces Nord et des îles Loyauté- ont « pour unique ambition que d’amener la Nouvelle-Calédonie vers la Kanaky », « alors que les Calédoniens s’inscrivent résolument au sein d’une Nouvelle-Calédonie dans la République Française ». « Les indépendantistes exigent des bilatérales avec l’État français pour acter le transfert des compétences régaliennes et donc l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie » a-t-elle ajouté, estimant que la voix et la volonté des Calédoniens n’est pas entendue. 

« D’après la résolution 1541, il existe bien trois solutions possibles pour un territoire non autonome pour s’émanciper : acquérir son indépendance ; s’associer librement avec un État tiers ; ou demeurer dans l’État dans lequel il se trouve déjà. C’est la troisième solution que les Calédoniens ont choisi de manière libre, éclairée et souveraine. Aujourd’hui, les Calédoniens souhaitent passer à autre chose et parler d’avenir », a conclu l’intervenante non indépendantiste. Un aperçu global des discussions sur l’avenir institutionnel calédonien qui doivent s’ouvrir prochainement à Paris.

À l’issue de sa session, la Quatrième commission élaborera un projet de résolution qui sera soumis au vote de l’Assemblée générale des Nations unies. 

Retrouvez ici l’ensemble des interventions à la Quatrième commission des Nations unies