Mayotte- Education des enfants : Le Rectorat ne pourra pas répondre à tous les maux (INTERVIEW)

© Capture d'écran Académie de Mayotte

Mayotte- Education des enfants : Le Rectorat ne pourra pas répondre à tous les maux (INTERVIEW)

Gilles Halbout revient sur cette semaine un peu particulière sur notre département puisque deux lycéens de 17 ans sont morts poignardés par d’autres jeunes à l’arme blanche, entre tristesse et espoir, le Recteur veut continuer à aller de l’avant. Une interview de notre partenaire France Mayotte Matin.


France Mayotte Matin : deux enfants morts en une semaine, que ressent-on quand on est recteur ?

Gilles Halbout : quand on est recteur, c’est comme quand on est parent, on met de l’espoir dans les enfants, lorsqu’un enfant décède c’est une partie de l’espoir qui s’en va. Alors quand cet enfant est tué par d’autres jeunes, c’est une faillite des valeurs éducatives qui ont été mal intégrées. Cette jeunesse dans laquelle on met de l’espoir qui s’autodétruit, c’est très triste.

Mais, il ne faut pas renoncer et il faut avancer et continuer à se battre sans oublier de se remettre en question : on transmet des valeurs et des savoirs, on ne peut se satisfaire de ces situations.

Il faut aussi être très humble, on ne peut pas tout contrôler même quand on est parent.

FMM : Pourquoi la jeunesse est aussi violente ?

Gilles Halbout : Mayotte est un territoire très densément peuplé avec un déficit d’adultes encadrants et d’infrastructures pour accueillir les jeunes et leur proposer des choses. 17 ans c’est l’âge médian à Mayotte, il n’y a pas assez d’adultes pour encadrer tous ces jeunes.

Ce n’est pas qu’à Mayotte, dès lors que ce constat est fait, bien automatiquement ça ne se passe pas très bien. Il n’y a pas que l’école, il y a aussi la famille, le périscolaire et la société au sens large qui ont un rôle d’accompagnement et d’encadrement. A Mayotte, ce manque fait cruellement défaut et cela devient incontrôlable, les enfants sont souvent livrés à eux même.

FMM : Que peut-on faire ?

Gilles Halbout : il faut avoir un regard global sur la jeunesse, encore une fois l’âge médian est de 17 ans, nos leviers sont faibles, le contexte est très défavorable, nous devons le transformer en opportunité, les territoires qui n’ont pas de jeunes s’effondrent. Tous ces jeunes c’est une opportunité, car ce sont eux qui construiront Mayotte demain, cette caractéristique doit nous pousser à tout mettre en œuvre pour transformer ce contexte en opportunité. Sur le volet éducation, je pense qu’il faut faire un diagnostic sur ce qui n’a pas marché précédemment, il faut oser faire le bilan massification de l’enseignement depuis 30 ans.

Cette politique avait 3 objectifs : réduire les inégalités sociales, améliorer l’employabilité des jeunes et former des citoyens éclairés. Sur les inégalités sociales, elles sont claire ment toujours présentes, on le voit bien à Mayotte comme sur le reste du territoire, sur l’amélioration de l’employabilité, le résultat n’est pas terrible non plus et enfin sur le 3ème objectif, on a une jeunesse moins malléable et qui basculent parfois vers les mouvements extrémistes religieux ou politiques.

A Mayotte, nous avons une chance, nous n’avons pas à corriger les erreurs du passé, nous avons une page blanche à écrire, tout est à faire et on peut innover, notre défi c’est de réussir cette massification.
Je pense aussi que si on n’éduque pas la jeunesse présente ce sera pire encore, je pense que pour garantir l’égalité des chances, il faut concentrer les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin et ne pas pénaliser les autres.

FMM : ceux qui en ont le plus besoin sont souvent issus de l’immigration, ça peut aussi déplaire à la société mahoraise cette concentration de moyens ?

Gilles Halbout : La violence n’est pas que le fait de l’immigration, néanmoins, elle est aussi le résultat d’un manque d’éducation et de moyens pendant des années. Maintenant on sait que ces jeunes vont rester ici, surtout quand ils sont nés ici. On ne doit pas faire les mêmes erreurs : il ne faut pas se tromper et donner plus à ceux qui en ont le plus besoin parce que sinon on va payer encore plus cher la facture à la sortie. Ces enfants-là, si on ne fait pas plus pour eux ils vont semer la terreur, on commence à le voir malheureusement.

Il faut les scolariser dès que possible, à 3 ans. En CP, CE1 et CE2 dédoubler les classes pour que le socle des apprentissages soit satisfaisant afin de les empêcher de sombrer dans la spirale des retards, de l’échec scolaire et de la déscolarisation. La lutte contre les inégalités commence par là.

C’est un combat qu’on n’a pas assez défendu : le rééquilibrage des moyens sur le premier degré c’est important car c’est là où se creuse les écarts. Certains enfants ne parlent pas bien français, chez eux personne ne le parle, il n’y a personne pour les aider dans les devoirs, ils n’ont parfois pas de conditions de vie favorables qui permettent de faire les devoirs. Nous essayons de compenser pour leur permettre d’avoir les acquis suffisants. Nous avons aussi fait beaucoup sur le recrutement et la formation des enseignants, ce n’est pas encore visible, mais les professeurs de collège commencent à souligner un meilleur niveau global, donc ça marche et ça va être de plus en plus visible.

FMM : Sur la question de l’employabilité, le Rectorat fait beaucoup d’efforts pour tous les publics scolarisés, la situation est-elle rattrapable ?

Gilles Halbout : Nous organisons les enseignements de telle manière à développer la voie professionnelle : apprendre un métier si possible en alternance. Il faut arriver à changer l’image et développer la voie professionnelle autour d’enseignements de qualité, nous y tendons, un jeune doit pouvoir choisir ce qu’il fera ensuite par goût pas car il n’a pas d’autres choix avant ses 16 ans.

Jusque-là beaucoup de jeunes arrêtaient l’école après la troisième car il n’y avait pas de place. Le rectorat a créé 800 places dans de nouvelles filières. Nous ne sommes pas les seuls, la Chambre des Métiers aussi propose des formations. Nous attachons une grande importance  à proposer aux jeunes des plateaux techniques de qualité pour former et diplômer des jeunes compétents et employables à la sortie des formations. Nous devons encore faire un effort sur la manière de faire la promotion de ces filières et véhiculer un discours positif afin de donner envie.

Et puis il y a aussi les filières d’excellence, les classes préparatoires, la prépa médecine, les classes d’horaires aménagés en musique, la classe passerelle avec sciences po. On paye aujourd’hui près de 10 ans d’une politique de massification sans avoir appréhendé l’ensemble des problématiques on a compris maintenant on fait de la différenciation.

FMM : Au-delà de l’école, les jeunes souffrent d’un manque de structures et de clubs pour pratiquer un sport, s’éveiller à la culture... Dans l'Hexagone même dans les quartiers en difficulté, les jeunes ont ces opportunités, pas ici, pourquoi ?

Gilles Halbout : Je travaille avec les Maires pour développer le tissu associatif et culturel, c’est un facteur incontestable d’émancipation et de dépassement de soi pour la jeunesse. Quand vous êtes dans cette dynamique, vous avez envie de vous surpasser.

Les Maires doivent se mobiliser là-dessus tout comme sur le périscolaire. Nous répondons présents dès que nous sommes sollicités. Il y a encore aujourd’hui un réel retard d’engagement des communes sur ce volet qui pourtant est clé, je ne l’avais pas moi non plus, assez pris en compte. L’école ne peut pas compenser ça.

FMM : Les parents reprochent la taille des établissements scolaires, collèges, lycées, vous les comprenez ?

Gilles Halbout : On aimerait n’avoir que des petits établissements, mais la réalité c’est que Mayotte est un des territoires les plus peuplés de France, on a un problème récurrent de foncier. Il manque aujourd’hui 800 classes pour scolariser tous les enfants et mettre un terme aux rotations, on ne peut pas imaginer construire 80 établissements scolaires de 10 classes, ce n’est pas réaliste.

Je ne pense pas que la question de la taille des établissements soit la vraie question. Le problème ce sont des établissements prévus pour 1 000 élèves qui en accueillent 1800, ça c’est un problème. Le problème c’est un collège prévu pour 800 que l’on transforme en lycée et qui accueille 1800 lycéens. 

Les besoins des collégiens ne sont pas les besoins des lycéens, on construit des établissements en lien avec leur usage et donc les âges des jeunes qui les utilisent. Le Lycée des Lumières à Mamoudzou accueille 2 000 élèves, il est conçu de telle manière que ça fonctionne, les élèves n’ont pas le sentiment d’être 2 000...

Mayotte compte 22 collèges aujourd’hui, nous avons le projet d’en avoir 31. Sur les 200 lycées français qui comptent plus de 1 600 élèves nous en avons 8 ou 9, c’est donc une réalité qui n’est pas que mahoraise loin de là.

Propos recueillis par Anne Constance Onghéna