Recherche - Le Projet Malin : vers une approche globale de la santé en Guadeloupe

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Recherche - Le Projet Malin : vers une approche globale de la santé en Guadeloupe

Le projet Malin s’appuie sur le concept « Une santé » qui reconnaît une interdépendance des santés animale, humaine et de leur environnement partagé. Il s'agit de partager les savoirs et les expertises dans le but de créer de nouvelles connaissances et des innovations en matière de santé. Après 6 ans de mise en œuvre, ce projet porté par l’Union Européenne et la Région Guadeloupe, le projet Malin va toucher à sa fin cette année mais il a mis en place les fondations d’une approche globale de la santé dans l'archipel. Un article de notre partenaire RCI Guadeloupe.



Le projet Malin s’appuie sur le concept « Une santé » qui reconnaît une interdépendance des santés animale, humaine et de leur environnement partagé. Ce concept né dans les années 50 a connu un essor depuis une dizaine d’années. En Guadeloupe, le Projet Malin a été mis en place en 2015. Plusieurs organismes comme le CHU, le CHBT, l’ARS, Santé Publique France, le CIRAD, l’INRAE , l'Institut Pasteur, l'Université des Antilles, IT2, Fredon, travaillent ainsi de manière concertée.

L’objectif est de réduire la vulnérabilité de l’archipel face au risque sanitaire croissant et partager les savoirs et les expertises dans le but de créer de nouvelles connaissances et des innovations en matière de santé humaine, animale et végétale explique Pierre-Yves Teycheney chercheur au CIRAD et spécialiste de la cercosporiose, à l'origine du Projet Malin.  

Une mise en place progressive

Plusieurs experts ont été mobilisés pour leurs connaissances sur le concept "Une santé" et leur maîtrise de compétences telles que la gestion, le partage ou la visualisation des données à l'instar du Professeur Craig Stephen, épidémiologiste vétérinaire de l'université de British Columbia au Canada, le Professeur Chris Oura, virologiste vétérinaire de l'université de West Indies, David Chavernac spécialiste des systèmes d'information et de la gestion des données au CIRAD, Sylvain Fala et Guillaume Cornu spécialistes de la visualisation en ligne des données pour l'INRAE et le CIRAD.

La mise en place de cette approche a nécessité du temps. Deux ateliers de travail ont été organisés en novembre 2019 puis au mois d'avril et de juin 2020. Une nouvelle rencontre s'est tenue en mars 2021 pour la mise en oeuvre concrète du projet.

Après six ans de travail, le Projet Malin a en effet déjà fait ses preuves. Une quinzaine de personnes, parmi lesquelles, des chercheurs, des cliniciens, des techniciens, des épidémiologistes mais aussi des doctorants, ont été formées à cette approche et aux problématiques du leadership.

Il s'agit également d'une première puisque les acteurs du Projet Malin ont fait le choix d'associer ceux de la santé végétale dans le processus. Une approche encore plus globale qui n'avait jamais été mise en place auparavant à travers les différents projets mis en oeuvre à travers le monde.
 
Les premières avancées nées de ces collaborations interdisciplinaires et multi-sectorielles

Les collaborations interdisciplinaires et multisectorielles ont déjà permis la mise en place du diagnostic de l'angiostrongylose en Guadeloupe avec une amélioration de la prise en charge des patients, une meilleure connaissance de la maladie et des publics à risque au sein de la population.

Le centre de recherche du CHU de Guadeloupe collabore avec le CIRAD et l'INRAE sur les liens entre l'environnement et le développement de pathologies chez l'homme. Une collaboration importante notamment dans le cadre des recherches sur la problématique de la pollution par la chlordécone et le développement des cancers , indique le Dr Jacqueline Deloumeaux, coordinatrice médicale du centre de recherche du CHU. « Dans ma branche sur les risques environnementaux sur le cancer, nous avons une collaboration avec le CIRAD où on va essayer avoir des données de pollution des sols que l'on va superposer avec des données que nous possédons sur le cancer mais nous travaillons sur d'autres pathologies comme les maladies neuro-dégénératives. Le but est d'élargir à d'autres pathologies chroniques comme le diabète. »

La mise en commun des connaissances a déjà permis d'optimiser la gestion de crises épidémiques sur le territoire. Ainsi au CIRAD, l’unité Astre qui travaille à améliorer la santé animale, la santé publique et la sécurité alimentaire, est dotée de deux laboratoires permettant la manipulation d’agents pathogènes. En 2016, elle a contribué à la lutte contre l’épidémie de zika comme l'explique Sylvie Lecollinet, virologue vétérinaire au CIRAD. 

Depuis le début de la crise sanitaire de la covid-19, les deux laboratoires du CIRAD ont permis par un travail en concertation avec le CHU d’améliorer les capacités diagnostiques locales et le séquençage des variants de la COVID-19 selon le Dr Céline Herrmann Stock, biologiste au centre hospitalier universitaire.

A l'unité de recherches zootechniques sur le site de Duclos à Petit-Bourg, les scientifiques étudient les différentes races animales afin d'identifier les plus résistantes aux maladies. Un moyen de limiter la mortalité mais aussi l'apport de médicaments chez les animaux. La visée de ces recherches est également l'amélioration de la santé humaine et la préservation de l'environnement local. Les substances contenues dans les médicaments comme antibiotiques peuvent avoir des conséquences au-delà des animaux. Elles restent présentes dans la chaîne alimentaire à travers la viande, le lait ou les œufs et sont détectées dans l'environnement comme l'explique Jean-Christophe Bambou ingénieur en recherche à l'INRAE Antilles-Guyane. « L'objectif  du est d'identifier les marqueurs de résistance chez les petits ruminants car nous savons que les petits ruminants de race créole sont plus résistants comparativement aux animaux importés, de manière à sélectionner des animaux plus résistants aux parasites. Cela nous permet de limiter des épidémies de parasitoses qui peuvent générer des mortalités, mais aussi limiter l'usage des médicaments. Le problème  avec les médicaments est que les parasites deviennent de plus en plus  résistants. De plus, les résidus de ces médicaments peuvent se retrouver dans les produits (la viande, le lait, les œufs) et dans l'environnement. Nous savons que cela a un impact négatif sur la santé des sols.»

Lydéric Aubert, épidémiologiste à Santé Publique France a en effet pu constater l’intérêt de mettre en commun les compétences de chacun, au-delà de la barrière des disciplines. « Nous sommes au cœur d'un écosystème donc cela a un sens de faire un lien entre ce que nous mangeons, qui vient du sol et de la nature. Il est intéressant de voir cette évolution  chez l'animal et derrière l'Homme. A Santé Publique France, travailler avec des chercheurs, des biologistes, des vétérinaires nous permet d'élargir notre horizon pour établir des passerelles et travailler ensemble. Le projet Malin est selon moi, le début d'une histoire dans laquelle nous avons posé de bonnes bases pour se connaître et coopérer. L'avenir est de sortir de l'infectieux et s'oriente sur les nouveaux défis sanitaires qui nous attendent comme le changement climatique, la pollution environnementale, la pollution des sols».

Le début d'une nouvelle approche de la santé en Guadeloupe

Porté par l’Union Européenne et la Région Guadeloupe, le projet Malin va toucher à sa fin cette année mais il a mis en place les fondations d’une approche globale de la santé. Une initiative transposable à d’autres territoires dans la région et sur le globe. Le projet a donné naissance à d'autres initiatives collaboratives à l'instar du Projet de recherche INSULA 2021-2023,également financé par la Région Guadeloupe qui étudie l'impact des dégradations environnementales d'origine anthropique sur les maladies vectorielles animales, humaines et végétales.

Par ailleurs, un projet intégré de recherche et de surveillance "Une Santé" financé par l'Union Européenne et la Région a été lancé pour la période 2021-2027.

En outre, deux publications scientifiques ont été soumises à une revue scientifique, Frontiers in Public Health qui prépare un numéro spécial sur les approches "Une Santé" en Amérique Latine et dans les Caraïbes.


Par Olivia Losbar