L’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert en route pour le Prix Goncourt ?

Louis-Philippe Dalembert ©M.Castro/Sabine Wespieser éditeur

L’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert en route pour le Prix Goncourt ?

Le jury du prestigieux Prix Goncourt 2021 a annoncé le 26 avril ses quatre finalistes. Parmi eux, l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert pour "Milwaukee Blues", un roman inspiré du meurtre de l'Afro-Américain George Floyd par un policier blanc à Minneapolis, en mai 2020. Le prix sera décerné au restaurant Drouant à Paris le 3 novembre.

 

Outre Dalembert, les trois autres écrivains de la dernière sélection du Goncourt sont Christine Angot (qui vient de recevoir le Prix Médicis avec "Le Voyage dans l'Est"), Sorj Chalandon ("Enfant de salaud"), et le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr ("La Plus Secrète Mémoire des hommes").

"Milwaukee Blues" est en partie basée sur l’histoire de George Floyd, un Afro-Américain dont l’assassinat par étranglement devant une foule médusée, en 2020 à Minneapolis par un policier blanc, a bouleversé le monde entier. Synopsis : se voyant payer avec un billet de banque suspect, le gérant pakistanais d’une supérette compose le 911, le numéro de la police. La suite, on la connaît. Le client est violemment interpellé, et décède étouffé sous le genou d’un agent des forces de l’ordre après de longues minutes d’agonie. Le responsable de la boutique, quant à lui, n’en dormira plus (dans le roman), hanté par des cauchemars peuplés de visages noirs hurlant "Je ne peux plus respirer".

En composant l’histoire d’Emmett, jeune gamin des quartiers noirs et son personnage principal (en référence non seulement à Floyd mais à Emmett Till, adolescent noir lynché dans le sud en 1955), Louis-Philippe Dalembert effectue une plongée tourbillonnante dans une Amérique qu’il connaît bien. On y retrouve sa dureté, sa violence, ses profondes inégalités et son racisme, mais également ses opportunités qui attirent des gens du monde entier, et, comme partout, des personnes remarquables d’humanité.  

Louis-Philippe Dalembert présente son roman "Milwaukee Blues" à la librairie Mollat à Bordeaux

Une consécration de l’écrivain haïtien par le Goncourt viendrait couronner un itinéraire déjà bien rempli. Né le 8 décembre 1962 à Port-au-Prince, Louis-Philippe Dalembert a commencé une carrière de journaliste dans son pays natal avant de venir terminer ses études à Paris – il y réside toujours - où il décroche un doctorat en littérature comparée à la Sorbonne-Nouvelle. Il a publié près d’une trentaine de romans, nouvelles, essais et recueils de poèmes.

L’auteur a obtenu de nombreux prix littéraires, dont le Prix Casa de las Americas (Cuba, 2008) pour "Les dieux voyagent la nuit" (éditions du Rocher), et le Prix de la langue française 2019 pour son roman "Mur Méditerranée" (Sabine Wespieser éditeur), un succès de librairie également primé en Suisse et en Pologne. Il a enseigné dans plusieurs universités américaines, ainsi qu’en Allemagne et en Suisse. Durant le premier semestre 2021, Louis-Philippe Dalembert a été titulaire de la Chaire d’écrivain en résidence du Centre d’écriture et de rhétorique de Sciences Po Paris. 

Extrait de "Milwaukee Blues"

"J’aurais dû écouter mon cousin, monter à Chicago avec lui et notre bande de potes. Je n’aurais pas eu à composer ce foutu « nine-one-one ». Je n’aurais pas passé toutes ces nuits sans sommeil. Après la première, je croyais que je n’y aurais plus repensé. Du moins, ça se serait atténué, quitte à revenir une fois de temps en temps ; et j’aurais dormi huit heures d’affilée, quitte à être réveillé par mes propres ronflements, comme ça pouvait m’arriver avant. Mais non. C’est même plutôt le contraire. Ça empire au fil des nuits. J’en suis arrivé à ne plus pouvoir fermer l’œil du tout. Je peux me casser le cul au boulot toute la journée, la nuit venue, je ne m’écroule pas au lit pour autant. Les rares fois où j’y arrive, c’est pour me précipiter dans un trou sans fond, sans aucune saillie dans la paroi où m’agripper. En vrai, ça dure quelques minutes. Dans le sommeil, ça paraît une éternité. Et tout le long, une meute de visages noirs accompagne ma chute, en hurlant : « Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas... » Je me réveille en sursaut et en sueur. Je manque d’air. J’étouffe moi aussi. Je me précipite vers la fenêtre, je l’ouvre à toute volée sans pouvoir néanmoins respirer. Il faut plusieurs minutes avant que mon cœur ne retrouve un rythme à peu près supportable pour quelqu’un de normal comme moi."

 

PM