La production locale des Départements d'Outre-mer inquiets d'« une refonte de l’octroi de mer », adressent une lettre à Jean-François Carenco

La production locale des Départements d'Outre-mer inquiets d'« une refonte de l’octroi de mer », adressent une lettre à Jean-François Carenco

Alors que le ministre chargé des Outre-mer, Jean-François Carenco, tiendra ce jeudi l'Oudinot du pouvoir d'achat, la production locale des Départements d'Outre-mer se dit inquiet d'une possible « refonte de l'octroi de mer », évoquée dans les colonnes de nos confrères du Quotidien de La Réunion, et ont adressé une lettre au ministre soulignant leur réticence à une réforme de l'octroi de mer, lui préférant une réforme de la TVA. Leur lettre en intégralité ci-dessous.

Nous apprenons dans le journal « Le Quotidien de La Réunion » en date du 29 octobre 2022, que le gouvernement souhaite mettre en œuvre « une refonte de l’octroi de mer » érigée au rang de « marqueur emblématique et sensible » de l’action gouvernementale outre-mer. Cette réforme suscite évidemment, dans nos organisations qui regroupent la totalité de la production locale de nos départements, une très forte inquiétude.

L’octroi de mer est décrit dans la feuille de route dont « Le Quotidien » se fait l’écho, comme un « impôt hérité du XVIIème siècle » qui « contribue au niveau élevé des prix ». Pour nous il est surtout un instrument efficace de compensation des surcoûts subis par les entreprises de production locale, et, partant, un levier essentiel pour la survie de notre tissu économique, dont vous connaissez la fragilité.

Réunis à l’occasion de l’Assemblée générale d’Eurodom, les représentants des filières de l’agriculture, de la pêche et de l’industrie ont adopté, à l’unanimité des présents, une motion que nous vous transmettons en annexe à ce courrier et qui rappelle « la plus grande réticence des membres d’Eurodom à toute réforme qui prendrait le risque de modifier les équilibres essentiels du dispositif de l’octroi de mer. »

Depuis plus de 40 ans, ce sont les différentiels de taxation qui ont permis le maintien et le développement d’une activité de production dans nos départements. La progression de l’emploi dans les Départements d’outre-mer a été liée au développement des industries de transformation locale, avec la mise en place des premiers différentiels de taxation dans les années 1970. Depuis l’Union douanière, ces différentiels sont les seuls instruments de lutte contre ce qui serait autrement une économie de comptoir reposant sur le seul import, puisqu’ils permettent de rétablir les conditions d’une concurrence équitable indispensable à la création d’emplois locaux.

L’histoire de ce régime l’a déjà prouvé, lorsqu’en 2004 la Commission a reformé le régime pour l’asseoir sur une Décision du Conseil des ministres, comme c’est toujours le cas aujourd’hui. En effet, la liste de différentiels autorisés en Guyane avait été limitée à l’époque à un nombre de codes très restreint. Contrairement aux autres Régions dont les listes de différentiels couvraient la totalité des activités de productions locales, la Guyane a été confrontée à une crise économique sévère de la production locale, avec à la clé plus de 200 faillites d’entreprises et la disparition de secteurs d’activités entiers.

Ce régime de différentiels d’octroi de mer génère aujourd’hui plus de 40 000 emplois directs dans les secteurs productifs des Outre-mer. Les nouvelles activités et les emplois qui ont été créés depuis 2004 l’ont été lorsque la liste des différentiels autorisés par Bruxelles a enfin permis l’émergence de projets de diversification des activités industrielles. Ces nouvelles avancées l’ont été avec l’appui à Bruxelles de tous nos gouvernements successifs depuis 2004.

Rapportés à l’échelle de la population active nationale hors emplois publics, les 40 000 emplois générés par la production locale dans nos territoires représenteraient plus 2,5 millions d’emplois en métropole. Ce seul chiffre permet d’illustrer l’importance de ce dossier dans le débat sur la vie chère. Dans le contexte de crise du pouvoir d’achat que nous connaissons, la question des revenus des populations de nos territoires est centrale. Renoncer à ce régime, ce serait transformer les salariés d’aujourd’hui en chômeurs de demain, aboutissant à un résultat inverse de celui qui est poursuivi dans le cadre de la lutte contre la vie chère.

Les différentiels d’octroi de mer permettent aussi de réguler le niveau des prix de vente aux consommateurs dans nos régions car l’existence d’une production locale dans nos départements permet de créer une concurrence sur le niveau des prix de l’importation.

Enfin, il convient de rappeler que le régime de l’octroi de mer est aujourd’hui appuyé sur des bases juridiques solides après de nombreux litiges et échanges avec la Commission européenne, la Cour de justice de l’UE et le Conseil. Ce résultat est celui d’un équilibre complexe trouvé à Bruxelles dont l’architecture pourrait être remise en cause si les autorités nationales prenaient l’initiative de sa révision. 

S’il fallait renégocier ce régime aujourd’hui, il n’est pas du tout certain que la Commission fasse preuve de la même souplesse qu’en 2004. Certes, comme toutes les taxes et tous les impôts, l’octroi de mer renchérit le prix des produits qu’il frappe. Nous avons toutefois fait la démonstration que, contrairement à la TVA, son caractère souple et modulable pouvait en faire un instrument très performant de lutte contre la vie chère : c’est la grande leçon des négociations qui sont en train de s’achever sur les paniers de produits à prix réduits, dits « BQP » et « BQP+ ».

Permettez-nous en effet de souligner que, dans le cadre de cette négociation, les producteurs locaux, les importateurs, les distributeurs et les transporteurs ont fait des efforts très importants sur leurs marges. Simultanément, les collectivités locales ont modulé à la baisse, lorsque c’était possible, leurs taux d’octroi de mer sur les produits retenus, la plupart étant déjà proches de zéro. L’Etat reste le seul à percevoir, via la TVA aux Antilles et à La Réunion, un revenu inchangé sur les produits du BQP et du BQP+, non pas en raison d’une absence de volonté, mais bien parce que les règles rigides de la TVA ne lui permettent pas de la moduler à la baisse.

Nous souhaiterions donc, au nom de la lutte contre la vie chère, qu’une réforme de la TVA soit envisagée, par exemple en alignant le régime qui prévaut aux Antilles et à La Réunion, sur celui actuellement en vigueur en Guyane et à Mayotte. La production locale serait ainsi protégée, le pouvoir d’achat de nos compatriotes relancé, et la modularité exceptionnelle de l’octroi de mer préservée. Certains que vous saurez entendre notre appel, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre très haute considération.

Michel Dijoux, ADIR

Gérard Bally, Eurodom

Franck Desalme, MPI Guadeloupe

Laurent Mirabel, MPI Guyane

Josiane Capron, MPI Martinique