EXPERTISE. La Présidence française du Conseil de l’Union européenne et les Outre-mer par Lydia Lebon

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EXPERTISE. La Présidence française du Conseil de l’Union européenne et les Outre-mer par Lydia Lebon

La relation entre l’Union européenne (UE) et les outre-mer n’a cessé de se développer depuis le traité de Rome de 1957. L'Union européenne engloble deux catégories de territoires : les régions ultrapériphériques (RUP) et les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) dont le degré d’autonomie à l’égard de l’Union est plus important. Alors que la France occupe depuis le 1er janvier la Présidence du Conseil de l'Union européenne, quels liens la France peut-elle envisager pour les Outre-mer dans ce contexte. Outremers 360 vous propose une expertise de Lydia Lebon, Maître de conférences en Droit public à l'Université de Bordeaux Montaigne.

 

Présider le Conseil de l’Union européenne ne veut pas dire diriger l’Union européenne pendant six mois. En effet, les autres institutions de l’Union européenne demeurent (Commission et sa présidente, Conseil européen et son président, par exemple) mais le Conseil de l’Union européenne est l’institution de l’Union européenne composée des ministres des États membres réunis en formation thématique : c’est le Conseil de l’Union européenne qui est co-décideur, avec le Parlement européen.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne (ci-après PFUE) permettra ainsi à la France d'influer sur l'ordre du jour ou d’initier la mise au vote de résolutions. Il appartient alors au gouvernement français d’organiser les réunions des ministres des 27 États membres de l’Union européenne pendant cette période : cela comprend notamment le travail de préparation législative et la recherche de compromis. Pour les outre-mer, c’est un moment important. En effet, la France est le seul État membre de l’Union européenne à disposer à la fois de RUP (régions ultrapériphériques) et de PTOM (Pays et Territoires d’outre-mer). C’est donc l’opportunité pour cet État de mettre en lumière les enjeux liés à ces territoires.

Certes, si l’on considère la durée moyenne de la procédure législative européenne (procédure de co-décision), qui est de plus ou moins 18 mois (pour la législature jusqu’à 2019) et si l’on compare cette donnée avec la durée de la PFUE ( six mois) cela semble assez modeste par rapport au temps nécessaire pour voir aboutir une réforme.
Mais d’une part, cela n’empêche pas d’initier les projets qui seront ensuite portés par la présidence ; d’autre part, la PFUE s’inscrit en réalité dans un trio de présidences (lui succéderont la République tchèque, au second semestre 2022, puis la Suède, au premier semestre 2023).

Dans leur programme de 18 mois (1er janvier 2022 - 30 juin 2023) révélé le 10 décembre dernier, les trois présidences estiment qu'il importe de « favoriser la convergence entre les États membres et régions de l'UE ainsi que le développement territorial grâce à la politique de cohésion (…) il convient de garder à l'esprit les besoins spécifiques des régions ultrapériphériques, périphériques, maritimes et frontalières, des zones urbaines ainsi que des régions en transition, y compris dans le contexte du pacte vert pour l'Europe ».

En outre, par le jeu de la représentation institutionnelle et de la concomitance de certains événements, il faut se réjouir d’une certaine « conjonction astrale » institutionnelle pour les territoires ultramarins : ainsi, le député européen et Président de la Commission du développement régional au Parlement européen, Younous Omarjee est originaire d’une RUP. De même, la commissaire européenne à la politique régionale est une portugaise Elisa Ferreira et partage une proximité de pensée sur ces questions, compte tenu du fait que cet État possède deux RUP (Madère et les Açores). Par ailleurs, la Commission européenne doit publier cette année sa 5ème stratégie pour les RUP.

La PFUE et les citoyens européens ultramarins

Dans le programme de la PFUE, il est indiqué la volonté de mettre l’accent sur « Une Europe humaine ». Cela permet de mettre l’accent sur les individus et notamment sur la citoyenneté de l’Union européenne qui concerne à la fois les ressortissants des RUP mais aussi des PTOM. A cet égard, on peut se demander si les citoyens ultramarins se sentent pleinement européens ? Sans se placer sur le plan du ressenti, subjectif, qui nécessite des méthodes sociologiques quantitatives et qualitatives (notamment les sondages) pour évaluer la conscience européenne des citoyens ultramarins, il est permis de de se placer sur des données objectives pour répondre à cette question.

Être citoyen européen, c’est d’abord avoir le droit de vote et éligibilité aux élections européennes. Or, il faut constater un taux d’abstention massif dans ces territoires à l’égard de ce scrutin. Lors des élections de 2019, même si ces taux ont été plus faibles que lors des précédentes élections européennes, les territoires ultramarins concentraient les taux d'abstention les plus élevés de France. Ainsi, l'abstention était la plus élevée en Guyane (86,59%), puis en Guadeloupe (85,63%), suivies de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (85,36%), et de la Martinique (84,78%). Là où l'abstention était la moins élevée était à Wallis et Futuna (65,37%).

Si ces élections européennes ne passionnent pas en temps normal, on peut toutefois avancer comme élément d’explication à ce désintérêt spécifique des ultramarins, la suppression de la circonscription outre-mer en 2019. Il est difficile de s’impliquer lorsque vous n’avez pas le sentiment d’être pleinement représenté. Il relève désormais de la responsabilité des partis politiques de mettre des élus ultramarins en position éligible sur leurs listes électorales : lors des dernières élections, seuls 3 représentants ultramarins français ont été élus.

Être citoyen européen, c’est ensuite avoir le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Le problème pour les ultramarins, c’est qu’ils sont caractérisés par un important éloignement géographique de l’Union européenne et une insularité, parfois double. Cela entraîne des questionnements liés à des dispositifs d’aide européenne à la mobilité pour donner une véritable incarnation à ce droit, afin, que précisément, il ne reste pas incantatoire. Par ailleurs, circuler librement dans l’Union européenne pour un ultramarin est aussi perçu quelque peu différemment, car les RUP françaises et a fortiori les PTOM, sont exclus de l’espace Schengen : ces territoires sont pourtant touchés par les questions liées à l’immigration.

Enfin, l’Union européenne a pu apparaître en décalage avec les attentes des citoyens notamment, ultramarins : cela est aussi en lien avec les compétences qui ont été attribuées à l’Union européenne, qui reste une organisation, certes d’intégration, mais qui ne peut agir que dans les cadres des compétences confiées par les États. Or, sur des questions concrètes pour les citoyens, dans leur quotidien, l’action européenne leur semble insuffisante : ainsi, dans les RUP françaises, les populations n’ont pas accès à l’eau potable et le système d’assainissement est souvent défaillant. L’accès à lʼeau potable ainsi quʼà l’assainissement est indissociable du droit à la vie et à la dignité humaine et de la nécessité de bénéficier d’un niveau de vie correct. Une Directive de décembre 2020 a d’ailleurs été adoptée à ce sujet qui vise notamment « à améliorer l’accès aux eaux destinée à la consommation humaine » et qui contient l’obligation pour les Etats membres de mettre en œuvre le principe de l’accès à l’eau potable pour tous. Cette Directive stipule en effet que « Les Etats prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés tels qu’ils sont définis par les Etats membres» . La crise liée au covid19 a montré toutesles difficultés pratiques de la réalité de ces principes.  Il faudra déterminer les mises en œuvre en pratique de ces principes dans les territoires ultramarins .

A cela s’ajoutent des problèmes structurels de longue date : pour ne donner qu’un exemple, les taux de chômage des jeunes, qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) atteignent ou maintiennent des niveaux alarmants dans les RUP. C’est ce qu’a montré l’ « Étude sur l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur les régions ultrapériphériques » publiée par la Commission en octobre dernier.


Dans toutes les régions ultrapériphériques, les taux de NEET sont supérieurs aux moyennes européennes (13,7% en 2020) et nationales. Bien que les taux de NEET (15 à 29 ans) dans les RUP françaises n'aient pas changé de manière significative en raison de la crise de la COVID-19, ils sont restés extrêmement élevés en 2020 - entre 23% en Martinique et 40% en Guyane ».
Sur le long terme, la France doit peser sur les orientations qui vont être définies par la Commission dans sa 5ème stratégie pour les RUP, qui constitue la véritable feuille de route de l’Union européenne par rapport à ces territoires.

Des pistes ont été dégagées :

  • Favoriser les transitions verte et numérique,
  • Mettre l’accent sur la relance dans les RUP,
  • Aider ces régions à tirer parti des politiques et des fonds mis en place par l’UE,
  • Engager un dialogue étroit avec ces régions,
  • Renouveler l’engagement de l’UE à prendre en compte les spécificités des RUP.

La dernière stratégie de l’UE à l’égard des RUP avait été présentée à Cayenne en octobre 2017 par le président Macron et le président de la Commission, alors Jean-Claude Juncker. Les Etats et les RUP avaient présenté chacun un document qui leur était propre. Or, un document de position commune ayant vocation à contribuer à l’actualisation du partenariat stratégique de la Commission européenne avec les RUP a été présenté par toutes les RUP (y compris espagnole et portugaises) à l’occasion de la Conférence ministérielle des régions ultrapériphériques européennes en Martinique qui s’est tenue en janvier 2022. Il met l’accent sur la relance économique, la transition écologique et numérique, l’accessibilité et l’adaptation des politiques européennes sur l'agriculture et la pêche. Il faut s’en réjouir, car la dernière fois que les Etats et l’ensemble des RUP ont présenté une position commune remontait à 2010.
Ce document commun a été présenté à la Commissaire européenne à la Cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira. La PFUE a déjà annoncé qu’elle préparera des conclusions à la suite de la présentation par la Commission de sa stratégie renouvelée. Elle souhaite d’ailleurs une « Meilleure prise en compte » de ces territoires. Elle accordera une « importance particulière à la situation des régions ultrapériphériques, dont les spécificités sont reconnues par l’article 349 TFUE, et pour lesquelles une adaptation des normes européennes est rendue possible par ce même article. Elle s’engagera résolument pour que leurs caractéristiques et contraintes particulières soient pleinement prises en compte et pour que leur potentiel de développement soit stimulé ».

Si l’on pouvait espérer que la France se saisisse de ce « moment européen » pour faire rayonner les territoires d’outre-mer, il faut toutefois rappeler que la présidence du Conseil de l‘Union européenne est également responsable de la gestion de l’actualité internationale. Le reste de la PFUE se déroulera donc incontestablement et logiquement dans l’ombre du retour de la guerre sur le sol européen, laissant à tous égards le sentiment d’une tragédie et d’un immense gâchis…
 

Lydia LEBON
Maître de conférences en Droit public
Responsable du parcours Relations internationales Licence 3 LEA
Université Bordeaux Montaigne
Centre de Recherches et de Documentation Européennes et Internationales - UB

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