Réunis à Paris ce mercredi 12 novembre pour la 33ème édition du congrès de l’Association des communes et collectivités d’Outre-mer (ACCD’OM), les élus et représentants institutionnels ont tiré la sonnette d’alarme sur un enjeu aussi discret qu’essentiel : la production et la fiabilité des données publiques dans les Outre-mer. Sans statistiques actualisées, ni indicateurs homogènes entre territoires, les politiques publiques peinent à répondre efficacement aux crises. C’est ce dont il était question lors d’une table ronde où les acteurs ont appelé à une gouvernance partagée de la donnée afin de mieux connaître, anticiper et agir à hauteur des réalités ultramarines.
En cette fin de journée du 1er jour du congrès de l’ACCD’OM, les mines sont fatiguées dans la salle. Il faut dire que les élus et acteurs des territoires ultramarins présents ont enchaîné les tables rondes où il était question notamment des adaptations nécessaires ou déjà effectuées pour faire face au changement climatique et à la transition énergétique ou encore sur des questions liées à la co-construction du développement économique dans ces territoires insulaires.
Sous la direction de Laëtitia Malet, déléguée générale de l’ACCD’OM, la table ronde intitulée « Les données sur l’Outre-mer, une pénurie qui complique les crises » a permis de pointer du doigt un déficit majeur : la connaissance chiffrée des territoires ultramarins. Florent Ballu, chef du bureau de la statistique et du système d’information Outre-mer à la DGOM, a rappelé l’ampleur du chantier : « Chaque territoire collecte à sa manière, avec des outils différents. Notre objectif, c’est d’harmoniser les méthodes et de rapprocher les acteurs. Les données doivent circuler entre collectivités, préfectures et opérateurs nationaux. » La question est d’autant plus urgente que plusieurs programmes arrivent à échéance.
Rattraper le retard
Sur cette question des données, celle des données forestières et topographiques s’est aussi imposée. Nicolas Lambert, chef du service des partenariats et des relations institutionnelles à l’Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), a reconnu un retard historique pour les Outre-mer : « Il y avait deux domaines où nous avions pris du retard : l’information forestière et les prises de vue aériennes. Ce retard a commencé à être comblé depuis le comité interministériel de l’Outre-mer de 2023, qui a décidé de rattraper ce manque », a-t-il expliqué.
Un vaste programme de cartographie des formations végétales a ainsi été lancé sur l’ensemble des DROM, avec un inventaire forestier national en cours d’élaboration en partenariat avec l’ONF et le ministère de l’Agriculture. « La Guyane, avec ses enjeux de puits de carbone considérables, n’était pas encore intégrée à cet inventaire. Désormais, un protocole a été défini et les premiers résultats sont attendus d’ici trois ou quatre ans », a-t-il précisé.
Sur le plan technique, l’IGN prévoit d’améliorer la couverture topographique grâce au programme européen Biomass. « Pour la Guyane, le littoral et les zones fluviales sont bien couverts, mais la forêt intérieure reste un défi. Nous aurons des réponses concrètes d’ici trois ans », a-t-il ajouté. Florent Ballu, chef du bureau de la statistique et du système d’information Outre-mer à la DGOM, a quant à lui souligné les disparités entre territoires. « Les DROM sont aujourd’hui plutôt bien couverts, mais le manque de données reste criant pour les autres collectivités d’Outre-mer. Chaque institut statistique fait ce qu’il peut avec les moyens qu’il a. Le vrai problème, c’est la régularité et la coordination de la production. »
En effet, si Mayotte commence à être mieux intégrée dans les études nationales, les COM accusent encore un fort déficit statistique, compliquant la planification des politiques publiques. « Nous ne produisons pas directement les données, mais nous constatons leurs absences. Sans indicateurs fiables, difficile d’anticiper les crises ou de répartir les ressources équitablement », a rappelé le représentant de la DGOM.
L’ingénierie publique resterait une zone d’ombre, de nombreuses communes ne disposant pas de personnels formés à la gestion des bases de données. Et pourtant, les compétences locales seraient bien présentes sur place, selon Sophie Lubin, présidente de Maryse Project, en faveur du numérique et de l’inclusion des jeunes. « Les territoires ultramarins regorgent de spécialistes, d’ingénieurs, d’universitaires. Mais ces expertises restent trop isolées. Il faut relier les chercheurs, les techniciens, les décideurs. Connecter les savoirs locaux aux décideurs, c’est renforcer notre capacité à comprendre et à agir. » Une proposition accueillie favorablement sur place.
Dans la salle, de nombreux élus ont d’ailleurs plaidé pour la création d’un observatoire partagé de la donnée ultramarine, qui permettrait de centraliser les informations démographiques, environnementales et économiques, tout en garantissant un accès libre aux acteurs publics.
Un enjeu transversal pour l’avenir des Outre-mer
Le matin même un peu plus tôt, c’est Sophie Charles, vice-présidente de l’ACCD’OM, qui interpellait l’État. « Nous constatons un manque cruel de données pour nos territoires. Je prends ici à témoin l’Observatoire des inégalités qui, dans un rapport de 2017, dénonce, je cite “une absence de données déplorable”. »
L’élue déplorait le manque de chiffres notamment sur la pauvreté depuis 2020. « Les chiffres de 2017 parlent d’une grande pauvreté, 9 à 10 fois supérieure à l’Hexagone. Il me semble qu’une attention et un suivi accrus seraient mérités ici. Il nous faut absolument faire un travail de collecte de données qui permettra aux collectivités de mener des projets avec une meilleure approche de leur réalité », indiquait-elle encore lors de son discours d’ouverture. « Comment pouvons-nous, par exemple, évaluer notre réseau d’assainissement si les chiffres de la population sont trop anciens, trop inexacts, trop loin de la réalité ? »
L’après-midi dans la salle, ce sont des membres des délégations guyanaise et mahoraise qui se sont exprimés sur la question. « Chez nous, beaucoup de gens vivent dans des habitats précaires, souvent sans papiers. Ils ne sont pas comptabilisés dans les recensements officiels », a alerté un élu de Guyane. « Dans les écoles, il y a des enfants qui seront peut-être les Guyanais de demain. On ne peut pas continuer à planifier des politiques publiques avec des chiffres qui ne reflètent pas la réalité. »
Les participants ont tenu à rappeler que la donnée n’est pas seulement une question technique : c’est un enjeu politique, social et stratégique. « Pour construire des politiques publiques efficaces, il faut d’abord pouvoir compter », entendait-on encore en fin de journée.























