Les indépendantistes de Polynésie justifient leurs contacts en Azerbaïdjan : « Les tensions entre Bakou et Paris, ce ne sont pas nos affaires »

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Les indépendantistes de Polynésie justifient leurs contacts en Azerbaïdjan : « Les tensions entre Bakou et Paris, ce ne sont pas nos affaires »

Les cadres du parti indépendantiste polynésien Tavini Huira’atira ont voulu clarifier, ce mardi, l’accord de partenariat signé avec le Groupe d’initiative de Bakou. Une « ONG comme d’autres », sauf qu’elle a été créée par l’État autoritaire d'Azerbaïdjan pour servir de levier dans les tensions diplomatiques avec la France. Qu’importe, l’essentiel pour le parti indépendantiste c’est de se faire entendre son appel à la décolonisation et de s’ouvrir des portes sur la scène internationale. Détails de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

Explication de texte, ou plutôt de mémorandum, ce mardi matin au siège du Tavini. Le parti indépendantiste attendait pour cela le retour de Vito Maamaatuaiahutapu. Le secrétaire général du parti s’était rendu à Vienne pour présenter au Groupe d’initiative de Bakou (GIB) un accord de partenariat signé par son président Oscar Temaru. L’heure était donc aux clarifications, et elles paraissent, de prime abord, plutôt simples.

Le GIB est une Organisation non gouvernementale, pas la première ni la dernière avec laquelle le parti indépendantiste travaille. Et ses objectifs correspondent à ceux des bleu ciel (couleur du parti indépendantiste, ndlr) : « lutter contre le colonialisme et le néo-colonisalisme ». « Pourquoi alors toutes ces polémiques, tous ces débats sur cette signature ? » s’interroge Vito Maamaatuaiahutau, entouré d’Oscar Temaru et de l’ex-sénateur Richard Tuheiava, lui aussi du voyage en Autriche. Parce que le Groupe d’initiative de Bakou, contrairement à ce qu’affirme le Tavini, n’est pas une « ONG comme d’autres ». 

Une ONG « ad hoc »

Le GIB, qui n’est pas encore reconnu comme une ONG par les instances onusiennes, mais qui espère l’être d’ici six mois, a été créé l’année dernière par l’Azerbaïdjan, état autoritaire du Caucase, dans un contexte de tensions autour du Haut-Karabakh. Une partie de la communauté internationale dénonce la politique du gouvernement de Bakou dans cette région sécessionniste de l’Azerbaïdjan où les populations arméniennes et chrétiennes sont persécutées et forcées à fuir.

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Ce conflit centenaire, relancé en 2020, s’est aggravé l’année dernière. Et les relations avec la France, qui a eu une voix particulière sur la scène internationale pour défendre les communautés arméniennes -la présidente de l’Assemblée nationale a même parlé « d’épuration ethnique en cours »- se sont largement détériorées.

Dans cette guerre diplomatique, l’État du Caucase, tenu d’une main ferme par le président Ilham Aliyev depuis plus de 20 ans, et qui peut compter sur des soutiens turcs ou russes, a choisi d’axer sa contre-attaque sur le colonialisme français. C’est ainsi qu’est né le GIB, entièrement financé par l’Azerbaïdjan et qui réunit, outre les représentants azéris, les partis et collectifs prônant l’indépendance de divers territoires et collectivités français. Le message à Paris est clair : stoppez votre ingérence dans nos affaires internes, ou subissez la nôtre.

« Le Tavini se doit de continuer le combat »

Ce contexte, malgré des déclarations faussement naïves, le Tavini ne l’ignore pas. C’est après une visite de plusieurs responsables dont Tony Géros à Bakou, l’année dernière, en pleine période de tensions entre l’Azerbaïdjan et la France, que le Tavini est devenu membre du GIP. Ella Tokoragi, qui en est une des vice-présidentes a pu, depuis plusieurs fois croiser dans des réunions les autres adhérents, comme des membres du FLNKS calédonien, des nationalistes corses, ou des autonomistes et indépendantistes antillais ou guyanais.

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Ce mémorandum n’est qu’un pas supplémentaire, qui prévoit des participations à des travaux communs, des échanges « consolidés » entre membres du groupe, et surtout des facilités d’accès à certaines tribunes internationales. Car ce que promet Bakou aux tenants de l’autodétermination dans les Outre-mer, c’est de les faire profiter de son réseau, et de ses entrées dans des organismes internationaux.

Et cette proposition « tombe à point nommé » pour les bleu ciel, qui, après presque un an de mandature Tavini, estiment que le parti ne doit pas laisser les actions de lutte pour la décolonisation aux seules institutions. « Le gouvernement, l’assemblée, ils ont leur programme, leurs actions, mais ce sont des institutions qui sont encadrées par l’autonomie interne », reprend le secrétaire général du parti. « Le Tavini Huiraatira se doit lui aussi de continuer le combat ».

Quitte à être instrumentalisé par un État autoritaire et violateur des droits de l’homme ? Oui. Car le parti -qui a diffusé des extraits, mais pas le texte intégral de l’accord avec le GIB- dit ne prendre aucun engagement envers l’Azerbaïdjan. Libre à cet État de communiquer comme il le souhaite sur l’activité du groupe, les indépendantistes polynésiens, eux, acceptent toute main tendue dans la recherche d’un processus de décolonisation et l’organisation d’un référendum.

« Le Tavini est très clairvoyant », assure ainsi Vito Maamaatuaiahutapu, « ça fait des années, que l’on travaille avec des mouvements internationaux, et on est au courant de ce qui se passe autour. Mais nous ce qui se passe entre l’Azerbaïdjan et l’État français, ça n’est pas notre problème, c’est le leur. L’objectif, c’est de nouer des relations, et, au fonds, d’obtenir un siège au sein du Groupe des pays non alignés. C’est quand même 120 pays sur 193 ».

« Après ça, on va à Caracas ! »

Bref, « rentrer par la grande porte dans la sphère internationale », bientôt onze ans après la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU, qui sera d’ailleurs fêtée le 17 mai au parc Outuaraea à Faa’a. Pour avancer dans cet objectif, des partenariats avec d’autres ONG, non citées, sont déjà envisagés. Le Tavini précise qu’il s’intéressera là encore à la finalité de ces accords plus qu’à leurs sous-entendus diplomatiques. « Ça aurait été l’Ouganda ou le Kenya qui aurait invité, on y serait allé », précise Richard Tuheiava, qui concède, plus tard, qu’une ligne rouge devra bien, dans certains cas, être fixée.

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Pas un mot, donc, sur les exactions dénoncées par la France -et pas seulement- au Haut-Karabakh. « En matière de violation des droits de l’homme et de crimes contre l’humanité, on a un passif avec celui-là même qui dénonce ce qui se passe là-bas », lance Richard Tuheiava, ex-sénateur et actuel directeur de cabinet de Tony Géros, qui s’est déplacé à Vienne avec sa casquette « parti » plutôt que président de l’Assemblée territoriale de la Polynésie. La précision est importante, puisque le Tavini insiste sur le fait que ni la Présidence, ni l’Assemblée ne sont impliqués dans ces échanges avec le GIB. La démarche est donc différente de celle du mouvement indépendantiste Kanak, dont une élue a signé, toujours à Bakou, un accord de partenariat au nom du président du Congrès calédonien, l’UC-FLNKS Roch Wamytan.

Certains tout de même, se perdent dans les changements de casquettes. « Après ça, on va à Caracas ! », lance ainsi Oscar Temaru, en référence avec le séminaire du comité de décolonisation de l’ONU organisé dans quelques jours au Venezuela, autre État qui figure très bas dans les classements d’indices démocratiques. Cette fois, c’est bien l’Assemblée de Polynésie -au travers de son président Tony Géros- et le gouvernement qui seront représentés, et non le parti Tavini Huira’atira.

Charlie René pour Radio 1 Tahiti