INTERVIEW. « La longévité, c’est le fruit du projet musical », selon Fred Deshayes leader de Soft, le groupe guadeloupéen qui, après deux concerts mémorables aux Antilles, va fêter à Paris ses vingt ans

INTERVIEW. « La longévité, c’est le fruit du projet musical », selon Fred Deshayes leader de Soft, le groupe guadeloupéen qui, après deux concerts mémorables aux Antilles, va fêter à Paris ses vingt ans

Groupe phénomène du début des années 2000 avec ses instruments acoustiques, ses influences et inspiration des rythmes traditionnels et notamment du gwoka guadeloupéen, mais aussi avec ses textes engagés, Soft a marqué et marque encore le paysage musical antillais. Aujourd’hui, après deux concerts –anniversaire mémorables en Guadeloupe et en Martinique, Soft s’apprête à fêter ses vingt ans à Paris à la Cigale le 5 mai prochain. A cette occasion, nous avons voulu savoir un peu plus sur ce groupe qui a fait soufflé un vent de fraîcheur et de poésie sur la musique antillaise et avons pour cela interrogé son leader charismatique, Fred Deshayes. Entretien. 

Outremers360 : L’apparition de Soft sur la scène musicale antillaise a provoqué un véritable vent de fraîcheur et de poésie sur la musique antillaise et le succès a été immédiatement au rendez-vous auprès du public. On a parlé de phénomène musical. Comment avez-vous ressenti cela ? Comment avez digéré cette vague qui vous a porté si loin ?

Fred Deshayes : La musique de Soft est d’abord une expérience à partir des rythmes traditionnels de la Guadeloupe. Pour nous, on a eu le sentiment que le public retrouvait ce qui était resté à l’ombre de la Fm. D’un côté ça sonne révolutionnaire, de l’autre ça sonne enraciné. 

L’impact sur la musique et sur les musiciens a été presque immédiat. Des récompenses, des collaborations, des invitations, de la reconnaissance partout où nous sommes allés…Le développement de la musique acoustique antillaise est lié à Soft et les influences assumées ou non sont évidentes sur des réalisations actuelles. C’est bien au-delà de ce que nous avions espéré et si on a eu quelques difficultés au début à s’adapter à cette réussite, aujourd’hui je crois que c’est un sentiment de gratitude et une envie d’aller plus loin qui nous domine.

A l’heure où on a souvent tendance à classifier les musiques, dans quelle catégorie peut-on classer la musique de Soft : biguine jazz, jazz créole, musiques traditionnelles, musiques du monde ? Au-delà de votre singularité musicale, comment définiriez-vous votre musique ?

On est toujours le plus mal placé pour définir ce que l’on exprime en créant ! Je ne sais toujours pas. Il y a des caractéristiques : instruments acoustiques, inspiration traditionnelle, ambiance jazzy et paroles soignées dans les thèmes et la manière de dire, musiques plutôt douces. C’est de la chanson créole parce que c’est un mélange de gwoka et de diverses influences venant d’autres musiques et d’autres pays. L’Afrique évidemment, le Brésil, le jazz en général, la pop…Je ne me préoccupe pas du nom ; après 20 ans j’avoue que c’est amusant de ne pas pouvoir nommer.

Avec ses textes portant sur la vie quotidienne des gens, leurs difficultés économiques et sociales, politiques et surtout identitaires, diriez-vous que Soft fait une musique engagée ?

Oui, les textes et la musique sont engagés. La plupart des chansons sont politiques. Je n’écris pas sur la culture, mais bien sur la situation politique et sociale de la Guadeloupe. Eviter la facilité, ne pas être lisse, prendre des risques, défendre un point de vue. On assume, c’est de la musique engagée.

Vous avez, semble-t-il, fait de la reconnaissance de l’identité guadeloupéenne un cheval de bataille que vous portez à travers vos textes et votre musique. En quoi est-ce important pour vous d’affirmer cette identité et de vous en faire le porte-étendard ?

L’identité n’est pas le thème principal, le thème principal c’est la responsabilité. C’est dire que les guadeloupéens sont responsables de leur devenir. L’identité fait partie de cette préoccupation. C’est ce que nous faisons qui dit ce que nous sommes. Ensuite, la chanson « ti gwadloupéyen » aborde de front la question de l’identité « ti neg, ti blan, ti zindyen fow vin on gran gwadloupéyen ».

Etre guadeloupéen, ça s’éprouve et je ne cherche pas à définir ce que ç’est. Mais en jouant cette musique c’est important d’affirmer que nous sommes d’un archipel qui se situe dans la Caraïbe. Chacun dit ce qu’il est, chacun défend sa musique, son pays à travers ce qu’il fait. C’est ce que font les Jamaïcains ? Et bien c’est exactement ce que nous faisons. Quand tu entends notre musique, tu dois te dire, ça vient d’un lieu précis, de la Caraïbe, des fils d’une histoire difficile, des fils du tambour, des fils du carnaval, des fils de la lutte sociale, de la plantation, et surtout d’un peuple qui a choisi l’amour plutôt que la violence.

On parle de vous comme d’un agitateur de consciences. Vous assumez ce rôle ? 

C’est flatteur. C’est le résultat du choix des thèmes et des mots. La musique sert d’abord à divertir, tant mieux si notre musique sert aussi à ça. « Soukwé konsyans kon moun ka soukwé chacha » (secouer les consciences comme on secoue les chachas) c’est joli comme carte de visite et ça donne une idée de chanson (lol). Je vais ajouter ça à mon hashtag qui est #starintercommunale. Merci beaucoup.

Soft a fêté ses vingt ans – comme le temps passe – à quoi est dû, selon vous, cette longévité ? Vous avez également dit qu’après les vingt ans, vous voulez donner au groupe une nouvelle orientation. Pouvez-vous nous préciser laquelle ? Quelles sont désormais vos aspirations ?

La longévité c’est le fruit du projet. Nous avons un projet musical. Enrichir notre patrimoine en créant une nouvelle musique à partir des rythmes traditionnels. Tant que vous n’avez pas atteint votre but…ça continue. Il y a aussi la diversité à l’intérieur du groupe. Si j’écris 8 chansons sur 10, Maxence s’est révélé un compositeur et un chanteur extra en écrivant « lodè lanmou » et « Mami-o » notamment. Philip amène sa touche jazzy dans le jeu et les compos, Julie son originalité au violon, et Joël son éclectisme et sa générosité à la basse. Enfin, il y a le soutien du public guadeloupéen et martiniquais d’abord, puis des autres que l’on a eu le bonheur de croiser.

Une nouvelle orientation ? oui, plus dansante, plus swing. Toujours doux mais plus en Kadans !

Après la Guadeloupe et la Martinique, vous vous apprêtez à fêter cet anniversaire à Paris. A quoi devra s’attendre le public parisien le 5 mai à la Cigale ? Y-aura-t-il des invités à l’instar des concerts de Guadeloupe et de Martinique ? Doit-on s’attendre à des surprises ?

Cela fait longtemps que nous n’avons pas joué dans une salle parisienne. Et la Cigale a été notre première salle. Notre choix est donc de montrer la grande variété de nos chansons, d’où on est parti, par quoi on est passé et vers quoi on va. C’est le best of de nous-mêmes plus de nouvelles chansons ! Et rien que ça, c’est difficile à faire tenir en moins de 2 heures. En Guadeloupe nos concerts sont encore plus longs, à cause du public qui ne veut pas nous quitter. A Paris…On va se discipliner…peut-être. Et pour le reste, le public découvrira au fur et à mesure.

On dit que c’est le public antillais qui vous a imposé, qui a fait votre histoire et vous a fait grandir. Qu’attendez-vous donc du public qui sera principalement composé d’Antillais dans l’émigration à l’occasion de ce concert anniversaire à Paris ? 

On attend d’abord qu’il vienne nombreux et comme en Guadeloupe qu’il se rassemble à travers les générations. Une envie de s’émouvoir et une envie de s’amuser, c’est tout. S’amuser sur la musique d’un groupe guadeloupéen et être ensemble, se sentir vraiment ensemble.

Propos recueillis par Erick Boulard 

Concert – anniversaire de Soft – 20 ans

Dimanche 5 mai 2024

La Cigale 

120, Boulevard Marguerite de Rochechouart

75018 Paris 

Métro Anvers ou Pigalle

Info line : 06 90 159 049